Autonomie : les provinces se rebellent !

Jacques Kimpozo Mayala

24/05/07

 

La guerre est ouverte entre le ministre d'Etat chargé de l'Intérieur, Denis Kalume Numbi, et les Assemblées Provinciales. Dans une déclaration commune signée le dimanche 20 mai 2007 à partir de Matadi, dans le Bas-Congo, au terme de deux jours de concertation entre dix présidents ou vice-présidents sur 11 des parlements provinciaux, ceux-ci réaffirment haut et fort le principe de l'autonomie administrative et financière des provinces.

L'unique absence constatée à ce forum était celle de la délégation de la province de l'Equateur, qui n'a pu effectuer le déplacement de la ville portuaire pour des " contraintes liées à son agenda ". Pour le reste, le Bandundu était représenté par Musomo Wapembe ( président), le Bas-Congo par Kimasi Matuiku Basaula ( président), le Kasaï Occidental par Ntolo Kalonga Valery (vice-président), le Kasaï Oriental par Kabala Ilunga (président), le Katanga par Kyungu wa Kumwanza ( président), la ville de Kinshasa par Nsingi Mpemba (président), le Maniema par Abeli Mankunku (président), la Province Orientale par Basango Makedjo (président), le Nord-Kivu par Mukinti Baumbilia (vice-président), et le Sud-Kivu par Habamungu Mirindi Théophile (vice-président).
Apparemment, une telle rencontre, organisée à l'initiative du Doyen d'âge de ces élus du Congo profond, Kimasi Matuiku Basaula, ne devrait déranger personne. Hélas, au niveau du ministère de l'Intérieur, la démarche a été très mal perçue par Denis Kalume. A en croire les participants, ils étaient harcelés, de jour comme de nuit, par des messages téléphoniques et phoniques de ce membre du gouvernement les enjoignant de suspendre leurs travaux, au motif qu'ils n'avaient pas reçu son quitus avant de se retrouver à Matadi.
Pour le patron de l'Intérieur, la " Déclaration de Matadi " épousait les contours d'une pétition, puisque n'ayant, à son avis, aucun fondement constitutionnel. Kimasi Matuiku Basaula et ses pairs, pour leur part, soutiennent que la " conférence des présidents provinciaux " est constitutionnellement légale et répond à l'esprit comme à la lettre des articles 199 et 204/al.2 de la Constitution. Ils indiquent aussi avoir informé, par pure courtoisie et respect, le ministre de l'Intérieur de la tenue de leur réunion à Matadi, ainsi qu'en témoigne l'accusé de réception de son cabinet daté du 15 mai 2007.
Le fonds du problème, signalent plusieurs sources, se trouve dans la peur du ministre Denis Kalume de voir les provinces appliquer à la lettre la disposition constitutionnelle leur octroyant 40 % de leurs recettes contre 60 % au pouvoir central. Pour avoir réclamé, dans leur déclaration, la retenue à la source de cette quotité, les présidents provinciaux suscitent la colère du ministre de l'Intérieur qui, on se le rappelle, estime que l'autonomie financière des provinces doit rester en veilleuse jusqu'à la promulgation de la loi sur la Décentralisation. C'est dans ce sens qu'il avait du reste convoqué, le mois dernier à Kinshasa, les gouverneurs des provinces en vue de discuter avec eux des prévisions budgétaires à intégrer dans le budget national 2007. Une initiative violemment critiquée par les Assemblées provinciales qui reviennent à la charge dans le cadre de la " Déclaration de Matadi ".
Nous proposons, in extenso, ce texte à nos lecteurs dans les lignes qui suivent.

 

Les provinces réaffirment leur autonomie administrative et financière

Conformément aux articles 199 et 204 point 2 de la Constitution, il s'est tenu, sur invitation du Doyen des Présidents des Assemblées Provinciales, Honorable KIMASI MATUIKU BASAULA, Président de !'Assemblée Provinciale du Bas-Congo, du 19 au 20 mai 2007, dans la ville portuaire de Matadi, siège des institutions provinciales du Bas-Congo, une concertation des Assemblées Provinciales de la République Démocratique du Congo en vue d'harmoniser leurs vues et de coordonner leurs politiques respectives en rapport avec les matières relevant de leurs compétences constitutionnelles.
A cette rencontre, ont pris part toutes les Assemblées Provinciales, représentées par leurs Présidents ou Vice-Présidents respectifs, accompagnés de leurs rapporteurs, à l'exception de l'Assemblée Provinciale de l'Equateur qui n'a pas fait le déplacement à cause des contraintes liées à son agenda.
Ayant dégagé un consensus sur la nécessité de la tenue d'une telle rencontre, compte tenu des problèmes divers que rencontrent les Assemblées Provinciales en cette période de leur installation, les Assemblées Provinciales ont procédé, pendant deux jours à des échanges fructueux sur les questions essentielles de l'heure, notamment :

1. l'autonomie administrative des Provinces (article 3 alinéas 1, 2 et 3 de la
Constitution) ;
2. l'autonomie financière et budgétaire des Provinces (article 3 alinéas 2 et 3 de la Constitution) ;
3. l'opposabilité aux tiers des Règlements Intérieurs des Assemblées
Provinciales ;
4. la problématique de la préséance des Institutions Provinciales (article 195 de la Constitution). :

A l'issue de cette rencontre, les Assemblées Provinciales ont rendu publique la déclaration suivante dite " Déclaration de Matadi" :
1. S'agissant de l'autonomie administrative et politique des Provinces, les Assemblées Provinciales, représentées par leurs Présidents, mues par la volonté de créer une dynamique à même de consolider la démocratie, la paix et la concorde nationales, réaffirment leur attachement sans réserve à la Constitution de la République Démocratique du Congo, à l'unité nationale et à l'autonomie des Provinces.
Elles soutiennent le Président de la République, garant de cette Constitution, dans son action tendant à obtenir un développement rapide des Provinces et des Entités Territoriales Décentralisées, rejettent les tentatives de mise sous tutelle et d'application programmée des dispositions constitutionnelles régissant les Provinces et encouragent la voie de la concertation permanente envue de régler d'éventuels différends entre le Pouvoir Central et les Provinces.
Abordant la question de l'affectation des cadres et agents administratifs aux Provinces par les autorités du Pouvoir central, les Assemblées Provinciales ont relevé qu'elle est en marge de la Constitution et ne saurait par conséquent être prise en considération.
2. S'agissant de l'autonomie financière et budgétaire des Provinces, les Assemblées Provinciales ont affirmé que les Provinces élaborent et adoptent librement leurs budgets avant leur incorporation au budget national. Elles soulignent à cet effet ce qui suit:

* les finances publiques provinciales relèvent de la compétence exclusive des provinces (article 204 de la Constitution) ;
* les finances du Pouvoir Central et celles des Provinces sont distinctes (article 171 de la Constitution) ;
* l'Assemblée Provinciale dispose du pouvoir législatif et à ce titre, elle est la seule autorité budgétaire (article 197 de la Constitution).

Eu égard à ce qui précède, les Assemblées Provinciales recommandent :

2.1. La stricte observation de l'autonomie budgétaire des provinces vis-à-vis du Pouvoir Central ;
2.2. l'harmonisation des vues sur la centralisation des budgets prévue par la Constitution en son article 175 alinéa 1 qui doit être comprise comme un moyen visant à permettre au Gouvernement Central d'avoir une vision globale des actions prévues et menées au niveau de chaque province en vue d'éviter le double emploi des ressources, leur gaspillage et les opérations retour et d'envisager les actions nationales à mener de façon à garantir le développement harmonieux et équilibré " du territoire national et à prévenir les antagonismes vécus ailleurs suite à la persistance des îlots de pauvreté ;
2.3. L'urgente nécessité d'accompagner le transfert des compétences et des charges aux provinces par le transfert des ressources financières Conséquentes ;
2.4. L'application sans faille et sans retenue à la source des 40% des recettes nationales générées dans leurs provinces respectives ;
2.5. Aux autorités compétentes de prendre les dispositions devant rendre effective ladite retenue à la source.
Les Assemblées Provinciales ont la ferme conviction que l'harmonisation des intérêts de l'Etat et des Provinces est possible à travers les mécanismes constitutionnels de concertation et à travers les interventions ponctuelles à titre de solidarité nationale, dans le cadre de la Conférence des Gouverneurs et de la caisse de péréquation.
Les Assemblées Provinciales estiment que c'est à tort qu'une certaine opinion croit que l'essor des provinces est contraire aux intérêts bien compris de l'Etat.
Elles considèrent au contraire qu'en libérant le Pouvoir Central de plusieurs charges, les Provinces lui permettent de mieux concentrer ses ressources sur les questions d'intérêt national notamment sur les cinq (5) chantiers prônés par son Excellence Monsieur le Président de la République Joseph KABlLA KABANGE.
3. En ce qui concerne l'opposabilité des Règlements intérieurs des Assemblées Provinciales aux tiers, les Assemblées Provinciales ont préconisé leur publication au Journal Officiel.
A cet effet, l'Assemblée Provinciale de la Ville province de Kinshasa a été responsabilisée pour assurer la centralisation des Règlements Intérieurs des Assemblées Provinciales et le suivi de leur publication au Journal Officiel.
4. Quant à la problématique de la préséance des Institutions Provinciales, les Assemblées ; Provinciales insistent sur le respect de la préséance des Institutions de la Province telle qu'elle est prévue par l'article 195 de la Constitution.
Elles invitent le Protocole de la Province à fixer les modalités pratiques d'application de cette disposition constitutionnelle.
5. Ayant tiré bénéfice de la concertation, les Assemblées provinciales ont levé l'option en faveur de la mise sur pied d'un cadre permanent de concertation.

 

Le Phare

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