Cardinal Joseph Albert Malula, 17 décembre 1917 – 14 juin 1989.

 

 

cardinal_malula.jpgJoseph Malula est né le 17 décembre 1917 à Léopoldville (actuellement Kinshasa). Après avoir terminé ses études au Grand Séminaire de Kabwe, il fut le premier curé noir à la paroisse Christ-Roi de Kinshasa. En 1959, il fut sacré évêque auxillaire puis promis archevêque de Kinshasa en 1964. Il devint enfin cardinal en 1969.

En 1965, quand le général Mobutu avait pris le pouvoir, Malula avait vu cela d'un oeil positif car il croyait pouvoir collaborer avec le nouveau régime pour émanciper la société congolaise. En effet, au début de son règne, le général Mobutu avait manifesté les qualités nécessaires pour diriger la nation congolaise en mettant fin aux différentes guerres de sécession et au chaos politique qui régnait dans le pays. Il avait également réussi à réunifier le pays. Sa doctrine de recours à l'authenticité avait plu aux congolais puisque pour eux, c'était une façon de faire valoir leur identité aux yeux du monde.

Les idées du général coincidaient avec celles de Malula. En effet, le cardinal Malula plaidait pour une africanisation du catholicisme romain et pour cette raison il encourageait une "insertion objective" de l'église dans le projet nationaliste du nouveau régime. Il prônait le projet d'une "église catholique congolaise dans la nation congolaise." En réalité, Malula voulait une certaine autonomie du catholicisme congolais vis-à-vis de Rome et surtout de l'église missionnaire belge.

Comme on devait s'y attendre, cela ne pouvait plaire ni à Rome ni aux différentes institutions missionnaires belges. On ne tarda pas à soupçonner des tendances schismatiques dans la volonté de l'archevêque de Kinshasa. Pendant ce temps, Malula avait vraisemblablement un appui de la part du président Mobutu.

Les relations commencèrent à se refroidir entre les deux hommes quand les premiers abus du pouvoir se manifestèrent. En effet, en 1967, le "Manifeste de la N'sélé," la charte du parti unique dans le pays fut publié. Le parti s'appelait "Mouvement Populaire de la Révolution" (MPR) et sa doctrine était le mobutisme, du nom de son fondateur. La dictature s'installait progressivement dans le pays. Mobutu, président fondateur du MPR, devenait de plus en plus puissant et jouissait de tous les pouvoirs. La constitution de 1967, votée par une sorte de référendum stipulait: "outre qu'il [le président] concentre entre ses mains tous les pouvoirs, celui-ci n'est pas tenu de prendre certaines de ses décisions en conseil de ministres et il peut signer seul tous ses actes." C'était le début de la destruction des structures sociales, économiques et politiques du pays.

Face à tout cela, les autorités catholiques furent les premières à dénoncer le laxisme et l'injustice sociale du régime. Ainsi, le 4 janvier 1969, lors d'une célébration religieuse à l'occasion de la commémoration des martyrs de l'indépendance, le cardinal Malula critiqua-t-il, dans son homélie, l'absence de justice distributive dans la politique sociale du régime mobutiste.

Le 12 juin 1969, les autorités politiques décidèrent que le "Manifeste de la N'sélé" serait enseigné dans toutes les écoles du pays. Cette décision rencontra une résistance de la part des autorités ecclésiastiques qui voyaient en cela une politisation du système éducatif. Le projet échoua.

Le 30 juillet, suite à une manifestation estudiantine de l'Université Catholique Lovanium, le bureau politique du MPR décida la dissolution de toutes les associations de la jeunesse au profit de la Jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolution (JMPR). Ainsi toutes les organisations des jeunes au sein de l'Église Catholique qui en faisaient sa fierté et sa force se retrouvaient-elles purement et simplement interdites. En février 1971, Mobutu promulga une loi interdisant l'utilisation de prénoms occidentaux qui devaient être remplacés par des noms "authentiquement africains." Chacun devait aussi se choisir un postnom (ou "nom de famille") africain parmi les noms de ses ascendants. Mobutu, qui s'appelait Joseph-Désiré, devint Sese Seko Kuku Gbendu wa Zabanga, dont la signification étrange est "le coq ne laissant aucune jeune poule intacte."

En septembre 1971, le gouvernement ordonna l'étatisation de l'Université Catholique Lovanium de Kinshasa ainsi que l'Université Libre du Congo, une université protestante à Kisangani. Cette étatisation s'accompagna d'une fusion de ces deux universités avec l'université d'état de Lubumbashi, ce qui donna une nouvelle structure académique dénommée "Université Nationale du Zaïre" (UNAZA). L'étatisation de l'université catholique constitua l'apogée de l'épreuve de force du régime face à l'autorité ecclésiastique.

En tout cela, un esprit anti-régime se dessinait de plus en plus parmi les responsables catholiques. Toutefois, certains évêques se montraient prudents et réservés. Le cardinal Malula parut comme le chef de file des prélats ouvertement mécontents du régime mobutiste. Il écrivit une lettre circulaire par laquelle il mettait en garde les prêtres de sa juridiction contre l'usage des postnoms au moment du baptême. Dans le même sens, l'hebdomadaire catholique, Afrique Chrétienne, publia un article le 26 janvier 1972 dont voici un extrait:

Allons-nous exhumer de la nuit du passé une philosophie africaine originale qui n'a pu être, si du moins elle a un jour existé, que l'expression d'une situation et d'une vie sociale à jamais périmées…il ne s'agit plus aujourd'hui de nous procurer l'ephémère satisfaction de réclamer à grands cris qu'on reconnaisse notre droit d'être nous-mêmes et de nous amuser à saccager notre passé de colonisés… Il faut passer aux actes et imposer par des réalisations de tous ordres notre dignité d'hommes africains. La question n'est pas de brandir des slogans sur notre originalité, nos valeurs… mais bien de mettre en oeuvre, aux yeux du monde cette originalité et ces valeurs.

Comme on devait s'y attendre, l'hebdomadaire catholique fut saisi et frappé d'interdiction. Cette mesure s'étendit à toute littérature religieuse sans distinction de confession. La crise entre les autorités catholiques et le régime mobutiste était alors à son comble. Cependant, Mobutu, qui reconnaissait la puissance de l'Église Catholique dans le pays, répéta dans plusieurs de ses discours: "Je ne suis pas contre l'Église Catholique, je suis contre l'individu Malula." Son but était sans doute de rassurer la masse de fidèles catholiques ainsi que l'opinion internationale qu'il s'agissait d'un conflit entre lui et Malula et que cela n'engageait ni son gouvernement ni l'Église Catholique.

Malula devint alors la cible privilégiée du pouvoir. Il fut l'objet de brutalités avant d'être dépossédé de sa résidence, qui devint le quartier général de la JMPR. En 1972, Malula s'exila en Belgique. Pendant son absence, une campagne radiodiffusée battait son plein contre "le cardinal diabolique" et "le caméléon." Il ne revint au pays que grâce à la négociation des diplomates du Vatican.

De retour au pays, Malula s'intéressa plus à la théologie qu'à la politique. Au synode catholique de 1974, il eut un langage visiblement très proche de celui des idéologues mobutistes. Il réussit à élaborer une liturgie africaine en utilisant la langue du peuple, le lingala. Il lança une expression qui, depuis lors, est restée célèbre: "Hier les missionnaires étrangers ont christianisé l'Afrique, aujourd'hui les négro-africains vont africaniser le christianisme."

Au cours de la même année (1974), Malula installa officiellement les "Bakambi" ou "Gardiens." Ce sont des laïcs qui, après avoir reçu une formation appropriée, sont affectés comme responsables des entités ecclésiastiques.

Le cardinal Malula est considéré comme l'un des fondateurs de la théologie africaine. Il mourut en 1989, officiellement des suites d'une hypertension, mais il est probable que c'était pour des raisons politiques. Beaucoup croient qu'il a été empoisonné par des émissaires de Mobutu.

 

Révérend Yossa Way


Cet article, reçu en 2002, est le produit des recherches du Révérend Yossa Way. Celui-ci est professeur de théologie à l'Institut Supérieur Théologique Anglican (Bunia, Rép. Dém. du Congo) et récipiendaire de la bourse du Projet Luc

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