Conséquences des arrêts de la CSJ: Mise à nu des imperfections constitutionnelles.

Jean N’Saka wa N’Saka, Journaliste indépendant

23/07/07

 

En mettant sur pied une commission chargée d’éplucher les arrêts définitifs de liquidation du contentieux électoral des législatives rendus par la Cour suprême de justice, au lieu de s’y conformer purement et simplement, le Bureau de l’Assemblée nationale et tous les députés nationaux, d’un commun accord, ne pouvaient pas un seul instant s’imaginer qu’ils allaient ouvrir la boîte de Pandore dont le contenu dégagerait une mer de sable sur laquelle étaient bâties la Charte et les institutions de la IIIème République.

A quelque chose malheur est bon. Pimenté d’interventions musclées mêlées de critiques raisonnées, le débat du mardi 17 juillet 2007 à la Chambre basse a été un ched-d’oeuvre de courage et d’éloquence que l’opinion ait jamais remarqué en plénière radiotélévisée en direct, concernant la dénonciation des imperfections de la Constitution et le maniement des railleries sans ménagement à l’égard de la Cour suprême de justice. Non moins admirables étaient l’intelligence consommée, l’habileté remarquable et l’honnêteté intellectuelle du président Vital Kamerhe aussi bien dans la conduite du débat que dans la synthèse de toutes les interventions. Une récapitulation fidèle et correcte.
Dossier par dossier et à tour de rôle, les intervenants ont systématiquement démonté tous les matériaux de l’échafaudage sur lequel les magistrats de la Cour suprême commis à la liquidation du contentieux avaient assis leurs arrêts. Recomptage des voix arbitraires sans être fait contradictoirement ; voix obtenues supérieures au nombre des votants figurant sur la liste de la Commission électorale indépendante ; députés invalidés sans être entendus pour se défendre ; apparition sur les arrêts des noms déformés ou celui d’un député fantôme ; poursuite de l’examen des dossiers au-delà du délai légalement imparti : la plupart des intervenants soulignaient l’excès de zèle et l’abus de pouvoir auxquels se sont laissés aller les magistrats de la Cour. Ils terminaient leur argumentation en demandant à la plénière de rejeter purement et simplement les arrêts de la Cour. Bien qu’ils aient constaté que les arrêts étaient iniques, ils se voyaient malheureusement bloqués par des dispositions constitutionnelles consacrant l’indépendance du pouvoir judiciaire et ne pouvaient pas, par voie de conséquence, s’en débarrasser comme ils l’entendaient. Notamment l’article 151 de la Constitution, et l’article 168.
Ces arrêts de la Cour suprême de justice et le débat qui s’en est suivi ont dessillé les yeux des députés nationaux qui se sont réveillés en sursaut. Ils se sont rendu compte que beaucoup parmi eux alors députés de la transition du pouvoir judiciaire une institution hors série, légalement qualifiée pour déstabiliser les autres institutions ou contrarier leurs actions, sans qu’à leur tour le Législatif ou l’Exécutif puisse broncher, quelque flagrant que soit l’abus de pouvoir commis par le Judiciaire. Je voyais sur le petit écran à partir de mon salon, que les députés dans leur ensemble se pliaient aux arrêts de la Cour la mort dans l’âme. A l’instigation du président Vital Kamerhe et à l’unanimité, ils ont convenu qu’il faudrait envisager le plus tôt possible de procéder à la révision de la Constitution. La Charte a doté le pouvoir judiciaire de plus d’ailes qu’il n’en faut, et qu’il s’avère urgent de rogner.

Souveraineté omnipotente de la Cour

Il y a d’autres imperfections qui fourmillent dans la Constitution jusqu’à faire de la RDC le champ d’expérimentation de la mondialisation. Il nous souvient que quand le projet de cette Charte était en cours d’examen au Parlement de la transition, des juristes de talent qui l’avaient disséquée, avaient formulé des critiques assorties de corrections qu’il fallait y apporter. On parlait de 300 (trois cents) amendements qui n’ont pas été pris en considération, par ceux-là mêmes qui se sont plaints mardi 17 juillet au Palais du Peuple dans l’hémicycle du Parlement. Il n’y a pas seulement d’imperfections, mais aussi des contradictions dans la Constitution que des juristes avaient abondamment relevées. C’est surtout le premier alinéa de l’article 168 qui scelle la souveraineté omnipotente de la Cour suprême de justice faisant aujourd’hui office de cour constitutionnelle. La cour étant seule qualifiée pour interpréter la Constitution, contrôler la constitutionnalité des lois et des actes, et étant juge de l’exception d’inconstitutionnalité, on peut se demander comment peuvent jouer la disposition du deuxième alinéa du même article 168 qui stipule que « Tout acte déclaré non-conforme à la Constitution est nul de plein droit » et celle du deuxième alinéa de l’article 162 qui dispose que « Toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire », si d’une manière ou d’une autre c’est elle-même qui est l’auteur de tels actes? Le cas d’école en l’occurrence est celui des arrêts en question.
Le bureau de l’Assemblée nationale et les députés nationaux en ont sans doute pris conscience non sans inquiétude. C’est pour cela qu’ils se sont proposés de réviser certaines dispositions constitutionnelles toutes affaires cessantes à la session du mois de septembre pourtant considérée comme budgétaire. Certains ont suggéré que ces corrections éventuelles soient faites avant que les élections locales et municipales n’aient lieu. Les observateurs s’aperçoivent que l’harmonie fait défaut dans le fonctionnement des institutions et dans leurs rapports les unes avec les autres. Des arrêts de la Cour suprême de justice jugés iniques et faisant des victimes parmi les députés nationaux, mais que l’Assemblée nationale accepte bon gré mal gré. Le Gouvernement devance et court-circuite l’Assemblée nationale en prenant sur l’affaire Kahemba une position étrange qui sera contredite sur toute la ligne par le rapport de la Commission parlementaire qui était dépêchée sur les lieux. Des institutions d’appui à la démocratie dissoutes de plein droit conformément à la disposition claire de l’alinéa deux de l’article 222 de la Constitution continuent d’agir en se substituant à celles qui ne sont pas encore créées par une loi organique du Parlement.
La stabilité, le changement et le développement s’avèrent hypothétiques dans un pays où les institutions boîtent, où les textes pour leur application suscitent des problèmes et conduisent à d’abus de pouvoir. La IIIème République se cherche encore péniblement. La paix et la tranquillité nous fuient de plus en plus. Le peuple dans sa grande majorité a l’impression d’être sacrifié, mais une poignée de privilégiés qui vivent dans un univers chimérique de jouissances ne ressentent pas cette morosité de la vie. Pour eux, le pays a amorcé un nouveau départ avec de nouvelles institutions et leurs animateurs. Ces animateurs qui sont, le cas échéant, brouillés avec la Constitution. Ils dénoncent des imperfections constitutionnelles, mais résistent difficilement à violer la Charte si le cœur leur en dit. S’il est vrai que Vital Kamerhe a habilement manœuvré pour sauver le navire de la tempête de mer, il a néanmoins commis un pas de clerc susceptible de conduire à la violation mutuellement consensuelle de la Constitution par tous les chefs des corps constitués de la IIIème République. Chercher à ménager les apparences en se rabattant sur une recette encore pire.
Il a justifié la soumission de l’Assemblée nationale aux arrêts de la Cour suprême de justice par le souci patriotique de ne pas tomber dans la violation de la Charte. Mais comme l’a fait ressortir avec beaucoup de finesse et d’à-propos, non sans perplexité, l’analyste critique du quotidien Le Phare dans l’édition du vendredi 20 juillet, la structure à convoquer par le président de la république, au sein de laquelle outre lui-même, vont siéger le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, le premier président de la Cour suprême de justice, le premier président de la haute cour militaire, le procureur général de la République, l’auditeur général de la haute cour militaire, pour trouver un accommodement sur une matière qui vient d’opposer l’Assemblée nationale à la Cour suprême de justice, est-elle prévue par quelle disposition constitutionnelle ? Comment on tombe ainsi de Charybde en Scylla !

 

Le Phare

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