Coupe illégale de la fôret congolaise: les sociétés étrangères profitent du laxisme du gouvernement.

 Laure NOUALHAT

15/02/07

foret_du_congo.jpgAmbiance salaire de la peur sur les rives du lac Ntumba, en république démocratique du Congo (RDC). Ayoub Saleh profite de son dimanche pour plonger les mains dans les entrailles de son bulldozer. En sueur, taché d'huile de vidange, il peste contre ses ouvriers qu'il traite «d'incapables». Cet ex-militaire libanais est le chef du chantier d'exploitation forestière de la société ITB, contrôlée par une famille libanaise. Il vient d'expédier à Kinshasa les grumes de sa concession, par le fleuve Congo. L'exploitation forestière tourne à plein régime en RDC, et plus précisément dans la province de l'Equateur au nord-ouest du pays. Vue du ciel, cette zone ressemble à un brocoli géant d'environ 368 000 km2 (près des deux tiers de la superficie de la France). L'exploitation du bois, comme celle de toutes les ressources naturelles de l'Afrique, sera au coeur des débats, aujourd'hui, lors du sommet France-Afrique qui se tient à Cannes jusqu'à demain (lire aussi pages 6 et 7).

Sociétés étrangères
La république démocratique du Congo possède 47 % des forêts primaires tropicales du bassin du Congo et un huitième de celles qui existent encore au monde. Elles regorgent d'espèces (éléphants, singes, oiseaux…) et d'essences (plus de 250 sont exploitables), parmi lesquelles le wengé dont on fait des parquets hors de prix en France (entre 60 et 150 euros le m2). La production annuelle peut potentiellement atteindre plus de 6 millions de m3, pourtant la forêt de la RDC joue encore un rôle insignifiant dans l'économie nationale, à peine 1 % du PNB. Mais cela pourrait changer. En dépit du moratoire mis en place par le gouvernement en 2002 pour limiter l'exploitation, plus de 8 millions d'hectares ont été attribués depuis par le même gouvernement à différents exploitants. «Pour nous, ces concessions sont illégales», précise Grégoire Lejonc, chargé des forêts africaines chez Greenpeace. Aussi l'ONG a-t-elle décidé de lancer une campagne pour sauver les forêts du Congo, «potentiel unique au monde», afin de ne pas réitérer la triste expérience camerounaise «où l'exploitation n'a pas profité au développement du pays». Malgré son engagement à améliorer la gestion des forêts (réforme du code forestier, révision des titres d'exploitation), le gouvernement congolais peine en effet à s'imposer. La majorité des sociétés (Parcafrique, ITB, Safbois, Siforco, Sodefor, etc.) sont étrangères. Contrairement à la réglementation camerounaise selon laquelle un concessionnaire ne peut exploiter plus de 200 000 hectares de forêt, certains en RDC en ont plus de 1 million , comme la Siforco de l'allemand Danzer, qui contrôle plus de 25 % des concessions du pays. Du côté de NKoete, à 80 km de Bikoro, se trouvent les concessions d'ITB. Des milliers d'hectares livrés aux machines. Pour les atteindre, les exploitants fendent la forêt avec des routes de plusieurs dizaines de mètres de large. Puis d'énormes machines acheminent les grumes jusqu'au fleuve. Ils s'intéressent à quelques essences, les plus prisées du marché: wengé, sapelli, tiamaqui, en Europe, se négocient parfois autour de 3 000 euros le m3. Les exploitants retirent une poignée d'arbres par hectare. «Mais ils dévastent tout avec leurs bulldozers», prévient Grégoire Lejonc. Par ailleurs, ceux qui travaillent sur le chantier chassent «tous les mammifères de plus de vingt centimètres» et déciment la faune. Les Pygmées, qui dépendent de cet écosystème, perdent de précieux produits forestiers comme les chenilles dont ils sont friands.
Pygmées
Car, au-delà de leur rôle économique et écologique, les forêts africaines abritent surtout plusieurs peuples, tels les Pygmées qui seraient près de 350 000. Or, les exploitants, pour la plupart, ne respectent pas les protocoles d'accord conclus avec les communautés. Contre le droit d'exploiter leurs forêts, les entreprises s'engagent officiellement à construire des écoles ou à offrir des études pour les plus âgés. Quant aux conditions de travail des employés, elles sont précaires. Henry N'Koy-Elaka, Pygmée, a été embauché par ITB pour surveiller le chantier de NKoete. Il était payé 496 francs congolais par jour, à peine 50 centimes d'euros, avant d'être subitement viré. Même sort pour Boyeli Blianga et Nsele Bilali. Ils incarnent à eux trois la main-d'oeuvre quasi gratuite et corvéable d'une industrie forestière florissante. En RDC, les Pygmées sont considérés comme des sous-hommes par les autres ethnies, ce qui arrange bien les affaires des exploitants.
La Libération

 

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