Kä Mana revient de Goma.

Par Kä Mana

06/10/08

 

byahi.jpgJ’ai entrepris d’écrire cette réflexion à Goma, au bord du lac Kivu, le regard tourné vers les montagnes du Massissi, fief d’une rébellion face à laquelle les dirigeants de notre pays ont entrepris de faire une guerre sans merci pour libérer, village après village, le territoire occupé par Laurent Nkunda. Le Lac est d’une beauté splendide. Le ciel est souriant et tranquille. Sous le soleil, les montagnes brillent d’une majesté éclatante et sereine. On a de la peine à imaginer que ce décor de paradis est livré au pouvoir des armes lourdes, aux tueries barbares et aux souffrances des populations condamnées à fuir le calme de leurs terroirs pour errer sur des routes chaotiques en vue d’être parquées comme des bêtes dans des camps de fortune.

Pendant que j’entreprends d’écrire sur cette guerre entre le pouvoir congolais et la rébellion, le chef de l’Etat est à Goma. Il a autour de lui ses hauts dignitaires et son conseil de guerre. Il reçoit constamment les représentants de la communauté internationale. En même temps, les responsables de la communication politique du CNDP interviennent sur les ondes des radios dans des débats avec les autres forces politiques concernant la situation dans le Kivu.

La population dans son ensemble est aussi embrasée par le vacarme des paroles orageuses, où chaque personne y va de ses commentaires sur ce qu’il convient de faire pour sortir la région des calamités qui se sont abattues sur elle. Pour un chercheur venu comme moi à l’Est du pays dans le souci de comprendre exactement ce qui s’y déroule, de saisir les ressorts profonds de la guerre du Kivu et de dégager les enjeux de fond d’une conflagration au premier abord absurde et honteuse, un séjour dans la ville de Goma transformée en état-major de l’armée, en centre du pouvoir politique et en haut lieu de la libération de la parole populaire est d’une extrême importance. Il me permet de voir la réalité telle qu’elle est, loin des clichés, des poncifs, des préjugés et des idées reçues, dont les médias inondent les esprits sans une analyse approfondie des tenants et des aboutissants d’une situation extrêmement complexe dans ses tensions et dans ses significations. J’ai eu la chance, au cours de mon séjour à Goma, d’être entouré de chercheurs de Pole Institute, une organisation interculturelle qui travaille pour la paix dans la région des Grands Lacs et mène, depuis une dizaine d’années déjà, une recherche de grande qualité sur la vérité de la situation de l’Est dans ses dimensions politiques, économiques, culturelles, spirituelles et militaires. A ces chercheurs, qui m’avaient invité à leurs travaux de réflexion et de discussion, j’ai pu soumettre chaque jour mes observations et mes analyses. Ce sont ces observations et ces analyses que j’aimerais maintenant partager avec vous aussi, sans préjuger de l’accueil que vous leur réserverez ni de l’écho qu’elles auront en vous concernant l’avenir de notre société. L’Est de notre pays est devenu un sujet tellement passionné qu’il est difficile d’en parler dans les seules limites d’une recherche raisonnable et lucide. Je m’y force cependant ici parce que je crois que la recherche de la vérité vaut plus que les dérives passionnelles qui empêchent de voir ce qu’il y a lieu de faire quand tous les horizons semblent bouchés. L’esprit surchauffé d’une fausse évidence Je suis arrivé à Goma, l’esprit surchauffé d’une évidence qu’un certain discours officiel sur la guerre du Kivu impose à l’espace public congolais et international depuis longtemps déjà. Cette évidence voit dans la rébellion de Laurent Nkunda une aventure ethnique des Tutsi qui défendent leur « tutsité » de pure hégémonie tribale. Loin d’un Congo oppresseur et tout près d’un Rwanda protecteur. Le Rwanda dont l’Est de la RDC attise toutes les voracités de prédation et toutes les ambitions d’annexion d’un territoire fabuleusement riche sur lequel, dans le désordre actuel, le pouvoir de Kinshasa ne semble avoir aucune prise réelle. Cela signifie que je suis arrivé à Goma convaincu, comme beaucoup de nos compatriotes, que Laurent Nkunda n’est qu’un criminel de la pire espèce, une marionnette de Paul Kagame dans un projet, profondément maléfique, du dépeçage du Congo au profit des vautours des conglomérats industriels internationaux qui en veulent à la RDC et à ses richesses. Les récits de toutes les atrocités commises par l’armée rwandaise au Congo depuis la chasse aux « génocideurs » et la marche de l’AFDL sur Kinshasa ; les réalités des viols, des meurtrissures, des massacres et des assassinats ciblés que le règne du RCD avait élevées en art macabre de démoralisation et en stratégie machiavélique de destruction psychique des populations congolaises ; la prédation à grande échelle dont notre pays a été victime de la part d’une certaine élite économique rwandaise pendant plus de dix ans ; tout cela m’avait convaincu que le CNDP n’était qu’un mouvement d’anéantissement de la nation congolaise au profit du Rwanda. J’en étais tellement convaincu que je m’attendais à sentir, partout dans la ville de Goma, une haine « volcaniquement » embrasée contre Nkunda au sein de toute la population, surtout de la part des ressortissants des ethnies congolaises qui ont pris l’habitude de considérer tout Tutsi comme un Rwandais, un ennemi réel ou potentiel, un traître en puissance et un suppôt d’une mentalité que Pierre Péan a désignée sous les termes, fortement expressifs, de culture du mensonge et de la sournoiserie. Cette évidence que je portais en moi et qui me portait consciemment ou inconsciemment comme elle porte beaucoup de Congolaises et Congolais n’a pas résisté à l’épreuve de la réalité que j’ai vue. Plus je rencontre des chercheurs, des universitaires et des penseurs de l’Est du Congo, plus j’écoute les expatriés et membres de la communauté internationale directement impliqués dans la résolution des conflits à l’Est de notre pays ; plus j’entends les déclarations publiques de notre ministre de la Défense et de notre ministre de l’Intérieur, plus j’écoute les populations dans la diversité et les tensions de leur interprétation de ce qu’elles vivent, plus il me devient évident que la grille manichéiste qui voit d’un côté une rébellion ethnique diaboliquement conduite par Laurent Nkunda au profit du Rwanda, et de l’autre une armée congolaise immaculée défendant une cause juste sous l’égide de son innocent président Joseph Kabila, est fausse et viciée. Elle ne peut pas être de mise comme mode d’explication profonde des réalités tragiques et destructrices que nos populations vivent à l’Est du pays. Il faut une autre interprétation, plus historiquement fondée, plus en prise sur les enjeux de fond, plus tournée vers une volonté de construire la paix par des solutions durables et viables, au lieu d’attiser les instincts de haine et les affects meurtriers au sein des groupes ethniques de l’Est et dans la mentalité des Congolaises et Congolais. Une telle interprétation devra pouvoir répondre avant tout aux questions suivantes : – Quelles sont les racines profondes de toute la situation qui embrase aujourd’hui la région du Kivu ? – Quelles sont les dimensions les plus relevantes pour comprendre les enjeux de la guerre en cours ? – A quels problèmes, conscients ou inconscients, cette guerre peut-elle prétendre être une solution ? Une histoire d’humiliations et de frustrations

Avant tout, il est bon de savoir que nous sommes devant une longue histoire de frustrations et d’humiliations que les Tutsi congolais subissent depuis de nombreuses décennies. Confrontés pendant longtemps au doute systématique sur leur « congolité », soumis aux tracasseries que ce doute induit dans les démarches quotidiennes comme celles de se procurer une carte d’identité, de bénéficier d’un passeport, de bâtir tranquillement sa maison sur sa propre propriété terrienne, d’éduquer ses enfants en toute sécurité, de vivre sur son propre terroir culturel local et de pouvoir disposer de droits et de devoirs clairs dans un pays qui soit vraiment un « pays à soi », les Tutsi du Congo devaient un jour ou l’autre se trouver en position psychologique d’avoir un leader qui incarnerait leurs revendications sur la nationalité. Laurent Nkunda prétend aujourd’hui être ce leader-là, qui refuse l’humiliation et la frustration, qui veut imposer une « tutsité congolaise » claire, différente d’une appartenance rwandaise ou d’une provenance burundaise.

Sur cette dimension d’humiliation et de frustration, j’ai été surpris de voir à quel point, même dans la manière dont ce rebelle est désigné dans les médias congolais, son nom réel est différent de celui par lequel il se désigne lui-même et se fait appeler par son entourage. Je suis arrivé à Goma convaincu que l’homme s’appelait Nkundabatware, ou Nkunda Batware, selon les différentes graphies que l’on trouve dans les journaux et la littérature congolaise. J’étais aussi convaincu qu’il était un sujet rwandais que les récentes péripéties militaires de l’AFDL et du RCD ont conduit sur le territoire congolais pour détruire la dictature mobutiste et instaurer un régime exclusivement pro-rwandais. A Goma, j’apprends que l’homme s’appelle en réalité Nkunda Mihigo. J’apprends que son grand-père a été un chef coutumier destitué par les colons belges, sur le territoire congolais même, pour des raisons de géostratégie tribale. J’apprends que les accointances du rebelle avec le Rwanda relèvent de la quête d’une visibilité citoyenne que le Congo ne garantissait plus aux Tutsi de son pays. J’apprends qu’il se bat pour que les siens aient, comme toutes les tribus congolaises, une reconnaissance officielle garantie par des droits et des devoirs concrets. A entendre les militants qui le soutiennent dans cette bataille contre les frustrations et les humiliations, Laurent Nkunda Mihigo serait l’incarnation de leurs revendications historiques pour lesquelles ils sont maintenant prêts à verser leur sang, pour ne plus être des citoyens de seconde zone dans un pays qu’ils considèrent comme le leur, aussi.

Je suis étonné de voir que cet enracinement historique de la guerre actuelle de l’Est n’attire pas suffisamment l’attention des analystes dans un pays comme le nôtre. Une terre dont les humiliations et les frustrations ont déjà créé des héros dans notre imaginaire politique et social national, comme Patrice Emery Lumumba et Pierre Mulele. On rétorque toujours que les Tutsi congolais occupent des places de choix dans la géographie sociopolitique congolaise, qu’ils ont été choyés par le régime de Mobutu et qu’ils ont bénéficié de l’aventure de l’AFDL pour s’enrichir et pour piller le Congo et le mettre à genoux devant le Rwanda. Ce discours n’a-t-il pas envenimé les conflits tribaux à l’Est au point de semer, dans les esprits, une mentalité de pogroms qui a poussé certains Tutsi à prendre une posture d’autodéfense qui donne à la rébellion actuelle la force idéologique d’une légitime défense ?

Il me semble urgent de considérer les problèmes de ce point de vue pour régler un contentieux historique profond sur lequel il n’est pas bon de faire l’impasse. L’histoire des migrations en Afrique centrale est d’une telle complexité qu’il serait irresponsable de ne donner pour horizon aux Tutsi congolais que le Rwanda, pays qui les considère en réalité comme des Congolais dont le destin devra se forger au Congo. Il faudrait plutôt comprendre que la lutte de ces hommes et de ces femmes contre l’humiliation et la frustration n’est pas une lutte alimentée par une étroite mentalité tribaliste, ethniciste et diaboliquement destructrice, mais une lutte essentiellement et éminemment politique au cœur du Congo: une lutte pour la reconnaissance des droits fondamentaux et des devoirs essentiels sans lesquels il n’est pas d’humanité possible pour un individu ou pour un peuple. Faute d’avoir compris que les racines de la guerre de l’Est s’enfoncent dans le sol d’une histoire de frustrations et d’humiliations que nous devons résoudre par un nouveau dialogue sur les droits de tous les Congolais sur le sol congolais, nous en sommes réduits, rébellion comme pouvoir de Kinshasa, à recourir au moyen le plus archaïque et le plus inhumain pour résoudre ce type de conflits : la guerre. Dans l’état actuel du développement de la civilisation humaine, ce type de conflits pour les droits et les devoirs des personnes et des peuples devrait se régler d’une autre manière : par une politique de civilisation, par une politique d’humanité, par une politique de l’intelligence et du bonheur partagé. Ces politiques ont plusieurs noms : négociation, dialogue, coopération, collaboration, harmonie, recherche du bien commun, prises en charge de revendications légitimes et quêtes de solutions qui sauvegardent les intérêts de tous et toutes. Quand comprendrons-nous cela en République démocratique du Congo ?

 

Les déçus de l’AFDL

Il y a plus. Alors que je ne m’attendais à rencontrer comme membre du CNDP que des Tutsi « bon teint bon genre », « minces, grands de taille et clairs de peau », selon la mythologie officielle bien établie, j’ai été surpris de me trouver, dans mes rencontres, face à des hommes et des femmes de plusieurs horizons ethniques de l’Est du pays, du Sud comme du Nord Kivu, qui me parlaient au nom de Laurent Nkunda Mihigo et donnaient de sa lutte une dimension au-delà de l’ethnie. Ces hommes et ces femmes parlaient aussi au nom d’une profonde frustration et d’une insupportable humiliation. Ils parlaient au nom des militaires congolais qui ont suivi Anselme Masasu et qui ont été témoins de son calvaire, de son emprisonnement et de sa liquidation physique. Ils ont erré comme des pauvres hères, se sont retrouvés dans les prisons rwandaises et sont retournés comme des épaves dans leur Kivu natal, pour se retrouver abandonnés de tous, alors que leur contribution à l’effondrement du pouvoir mobutiste a été décisive. Ces hommes ont compris que leur destin ne pouvait pas s’accomplir dans l’armée nationale congolaise : une armée misérable et pitoyable à leurs yeux, dont les militaires sont soumis à des conditions de sous-humanité, de misère infinie et d’anéantissement de leur dignité d’hommes et de soldats. L’horizon pour vaincre les frustrations et les humiliations, ces hommes et ces femmes de troupes l’ont trouvé chez Laurent Nkunda Mihigo et dans son armée, une force « impressionnante de discipline et d’organisation », selon l’expression du chargé de communication au CNDP. Quand des militaires qui ont participé à toutes les péripéties de notre histoire récente décident de plein gré de rejoindre Laurent Nkunda dans les montagnes du Massissi et refusent de courir vers l’armée nationale, il faut comprendre que leur geste éclaire une autre racine de la guerre de l’Est : la place de l’armée dans la recherche des solutions aux problèmes du Congo, ou plutôt l’absence de son rôle décisif dans le processus qui a conduit à la transition « 1+4 » comme dans celui d’où a émergé la troisième République.

Aux yeux de Laurent Nkunda Mihigo, sa rébellion actuelle est, historiquement parlant, la conséquence d’une gestion catastrophique des négociations qui ont mené la RDC à son ordre politique actuel. Ces négociations ont été orchestrées, modulées et managées par les politiciens, sans que les militaires, qui sont au cœur de nos guerres, ne soient associés de manière clairement décisive. D’avoir pensé la sortie de crise sans prendre en compte les intérêts profonds de nos militaires a conduit à la clochardisation de ceux-ci et à la constitution des groupes armés en pagaille, qui sont devenus le vivier des rébellions de toutes sortes. Le CNDP puise dans ce vivier, comme d’autres mouvements dont l’Est de la RDC est infesté actuellement. Quand on propose à ces groupes armés d’être « mixés » ou « intégrés » dans les FARDC telles qu’elles sont aujourd’hui, on n’offre pas une solution viable qui tienne compte de la dignité et des attentes profondes de ces personnes. Celles-ci savent que l’armée congolaise est un « foutoir », un « mouroir », « une force négative dans le conflit du Kivu », comme l’a dit un haut représentant de la communauté internationale que tout le monde connaît à Goma. Elles savent qu’elles ne trouveront jamais dans le mixage et l’intégration les vraies solutions à leurs espérances, tant que l’ordre politique qui règne en RDC est celui de la marginalisation de l’armée. Et elles savent qu’actuellement s’opère en douce l’élimination de certains officiers ressortissants des régions indésirables. De quelle garantie disposent-elles pour entrer dans une armée nationale qui risque de les décimer à plus ou moins brève échéance ?

Chez elles, le manque de confiance en l’armée nationale existante et la méfiance à l’égard d’une politique bâtie sans la participation profonde des militaires qui ont conduit l’AFDL à Kinshasa attise une envie de revanche et de vengeance. Une multitude de soldats venus de l’Est, et non pas seulement les Tutsi rwandais, qui ont libéré Kinshasa, rêvent d’une nouvelle libération. Sachant comment la première libération s’est modulée, avec le soutien du Rwanda et l’appui de l’Ouganda, ils ont l’ambition de voir les mêmes causes produire les mêmes effets. Apparemment, nos autorités congolaises le savent aussi. Leur discours public est toujours tourné vers l’accusation de Kigali chaque fois que la guerre éclate à l’Est, au lieu d’être tourné vers les possibilités de résoudre les problèmes par un dialogue congolais interne, quitte à se servir de Kigali comme intermédiaire et facilitateur, ainsi que l’a fait Laurent Gbagbo avec Blaise Compaoré dans la crise ivoirienne.

Je crois que la question de nos militaires, de leur statut, de leurs conditions matérielles et de leurs attentes humaines légitimes devrait être désormais considérée comme une des dimensions essentielles de la résolution du conflit de l’Est, si nous ne voulons pas que le vivier actuel de frustrations et d’humiliations alimente pour longtemps encore le CNDP. Mais le voulons-nous vraiment dans les hautes sphères du pouvoir congolais ?

Fascination de certains intellectuels

S’il n’y avait que cette catégorie de militaires qui rejoignent le mouvement de Nkunda, je n’aurais pas été si ébranlé dans ma conviction selon laquelle ce mouvement n’est qu’une aventure militaire tutsie destinée à dépecer le Congo au profit du Rwanda. J’ai vu aussi des intellectuels, des universitaires et des chercheurs appartenant à des horizons ethniques différents partager la lutte du CNDP à un plan purement politique : comme une alternative au désordre congolais actuel et aux dérives de despotisme que le régime de Joseph Kabila Kabange nous impose de plus en plus. Dérives visibles dans la neutralisation de l’UDPS, parti de non-violence par excellence, et dans la marginalisation du MLC, mouvement qui a pourtant accepté de jouer tout le jeu d’une opposition constitutionnelle et légale.

Pour ces intellectuels, chercheurs et universitaires, la troisième République congolaise n’a pas tenu les promesses d’une véritable démocratisation du pays. C’est une République dont les ressortissants de certaines régions se sont taillés la part du lion dans la gestion et l’administration de la nation, en cassant les ressorts d’une véritable fraternité nationale au nom de laquelle Mobutu a été renversé. Lorsqu’ils cherchent de quel côté une alternative crédible peut venir, ces hommes et ces femmes ne la voient ni du côté de l’UDPS, parti apparemment vaincu, ni du côté du MLC, mouvement anémié dans son organisation même. Il ne reste que le CNDP, plate-forme d’une nouvelle idéologie de la fraternité des humiliés, des frustrés et des déçus de la troisième République. Vue sous cet angle, la guerre actuelle du Kivu est la facture impayée de notre troisième République : le fruit de son déficit de démocratie et de bonne gouvernance, le résultat de ses velléités despotiques et de l’accaparement du pouvoir réel au Congo par les ressortissants du Katanga et du Maniema. Si les choses continuent comme elles sont, la clarification des enjeux réels du combat de Nkunda Mihigo attirera vers cet homme beaucoup d’autres intellectuels, universitaires et chercheurs. Son combat aura de plus en plus une envergure nationale, comme je le sens profondément maintenant.

J’ai été impressionné par le portrait que beaucoup d’universitaires de Goma, qui connaissent Nkunda, m’ont fait de lui. Certains d’entre eux ont quitté leur emploi, leurs cabinets de travail et la sécurité de leur situation matérielle pour le rejoindre dans les montagnes du Massissi. Beaucoup partagent le sens de sa lutte et l’horizon de son ambition nationale. Pourquoi ? Parce que l’homme, selon eux, fascine. Bien que n’ayant pas accédé aux sphères mirifiques du savoir universitaire, il fascine par la rigueur de son discours sur la situation du Congo, par la force de sa foi dans les droits des personnes et des ethnies en RDC, et par sa volonté de construire une fraternité autour d’un bonheur communautaire que le pays ne connaît pas dans ses divisions profondes actuelles. Si cette personnalité du leader du CNDP arrive à rayonner suffisamment au-delà du cercle de ses adeptes et de ses militants pour atteindre de plus en plus le vaste champ de ceux et celles qui veulent un Congo nouveau, sa lutte pourra acquérir une autre dimension et devenir concrètement dangereuse pour le régime en place. Sans la MONUC d’ailleurs, il est presque certain que l’Est du pays serait déjà entre les mains de Nkunda Mihigo et la marche sur Kinshasa aurait commencé. Obnubilés par la phraséologie guerrière officielle, beaucoup de nos compatriotes ne connaissent pas cette réalité et se laissent abusés par l’idéologie anti-rwandaise qui ne va jamais, chez nous, jusqu’à la volonté de construire un nouveau Congo auquel le Rwanda n’oserait jamais s’attaquer sans encourir d’irrémédiables dommages politiques, matériels et militaires.

L’hypothèque FDLR

Dans la situation actuelle du Kivu, la question des FDLR est une épine dans les relations entre notre pays et le Rwanda. Devenus un Etat dans l’Etat, ces anciens militaires de l’armée rwandaise au temps de Juvénal Habyarima, servent notre propre cause dans la méfiance que nous éprouvons face à notre voisin de l’Est et attisent de la part de ce voisin un doute profond sur notre volonté d’être en paix avec l’actuel pouvoir à Kigali. Avec les FDLR, le Congo donne un prétexte en or à l’armée rwandaise qui se sent le devoir d’assurer la sécurité de ses citoyens face à d’éventuels agresseurs. Il permet aussi au Rwanda de s’appuyer sur la rébellion de Nkunda pour déstabiliser le pouvoir de Kinshasa et agiter comme une épée de Damoclès la perspective d’un renversement de régime, à Kinshasa même. Dans la célèbre interview qu’il a accordée à Colette Braeckman, Paul Kagame a été clair à ce sujet : il a fait comprendre à Joseph Kabila Kabange que sa stratégie guerrière actuelle lui reviendra en pleine figure, comme une catastrophe irrémédiable. Ce n’est pas une simple prophétie de malheur. C’est une menace à peine voilée, dont le sens est lié au soutien que Kinshasa accorde aux FDLR en les laissant vivre sur son territoire comme un Etat dans l’Etat, avec la force de lever l’impôt, de discipliner la population, d’en enrôler les milices et de servir de force d’appoint à une armée congolaise sans colonne vertébrale, comme l’Angola l’avait fait il y a quelques années au profit du pouvoir de Laurent Désiré Kabila, lorsque le Rwanda chercha à le renverser à partir du Bas-Congo.

Tant que notre pays ne comprendra pas que nous n’avons aucun intérêt à nous encombrer de FDLR et qu’il ne nous sert à rien de donner à Nkunda une arrière base sûre que serait en permanence le Rwanda, nous n’aurons pas une vision stratégique cohérente pour la construction de la paix. Nous risquons de nous embourber dans une situation où la guerre appelle la guerre comme « l’argent appelle l’argent ». C’est ce cercle vicieux qu’il faut casser par le courage des négociations directes avec Nkunda, qui est aujourd’hui demandeur ; comme avec le Rwanda, qui laisse la porte ouverte pour discuter une paix globale dans la région des Grands Lacs, à partir de la construction d’une communauté économique viable et crédible.

Dans ce schéma, il est temps de discuter le désarmement et la démobilisation des FDLR et du CNDP comme opérations concomitantes. Il est temps de le faire dans la perspective de la constitution d’un nouvel ordre militaire pour la sécurité générale de la Région avec, dans chaque pays, une armée nationale digne de ce nom, qui travaille non pas pour agresser et déstabiliser les voisins, mais pour solidifier l’espace d’une paix commune, socle d’un développement solidaire. N’est-il pas temps d’oser cette perspective, au lieu de s’enliser dans une guerre qui n’apporte rien à notre pays ?

L’héritage colonial et la responsabilité des pouvoirs publics congolais

On ne comprend rien à la situation de l’Est de la RDC si l’on ne remonte pas jusqu’à la période coloniale pour redescendre jusqu’au contexte politique et géostratégique de la région des Grands Lacs aujourd’hui.

Pendant la période coloniale, les autorités belges ont mis sur pied un ordre de division tribale qui a attisé des haines dont nous payons le prix aujourd’hui. Avec leur politique de soutien à certaines tribus et de dépréciation de certaines autres au profit des intérêts de la métropole, elles ont déstructuré de solides chefferies traditionnelles, elles en ont détruit les fondements et la crédibilité, semant ainsi les graines des antipathies qui ont empli les cœurs, les consciences et les esprits.

Après les indépendances, le drame des massacres successifs au Rwanda, dont le génocide a été le point d’orgue, conduisit le gouvernement congolais à une politique de nationalité sans cohérence entre le droit du sol, le droit du sang, et le droit du cœur et de l’esprit. Ce dernier droit désigne l’opportunité, pour un étranger, de s’intégrer par choix, dans une communauté historico-sociale qu’il désire prendre comme espace d’accomplissement et lieu d’épanouissement de son destin. C’est cette incohérence qui hypothèque toujours aujourd’hui la condition des Tutsi congolais que l’on croit être tous des Rwandais venus sur notre terre à partir des pogroms de 1959, alors que beaucoup d’entre eux vivaient sur le sol congolais aux temps coloniaux et même avant la catastrophe de la Conférence de Berlin. Même parmi ceux qui sont venus à l’occasion des dramatiques événements de 1959, beaucoup ont fait le choix d’être congolais. Ils ont voulu construire leur vie au Congo. Ils se sont intégrés dans notre nation et y ont vécu comme de Congolais à part entière jusqu’à la tragédie du génocide et à la marche de l’AFDL sur Kinshasa. Le long règne de Joseph Désiré Mobutu n’a pas réglé la question de la nationalité de ces concitoyens tutsi qui n’eurent pas besoin de déclarer publiquement leur appartenance à notre nation, tellement cela allait de soi. Quand les autorités congolaises issues de l’aventure de l’AFDL s’engagèrent dans la chasse au Tutsi comme traître, la débandade généralisée qui s’ensuivit nous fit perdre de vue  que beaucoup de ceux que nous pourchassions comme étrangers étaient nos propres compatriotes. Le faciès devenu un critère de nationalité, nous poussâmes certains de ces compatriotes vers le Rwanda et précipitâmes certains autres dans la lutte armée, avec la visée de reconquérir leur nationalité par la force. Le paradoxe dans tout cela est qu’au moment même où tout Tutsi est soupçonné d’être un ennemi de la nation congolaise, le soupçon de « rwandaïté » pèse sur certains dignitaires à la tête de l’Etat, sans que ceux-ci se sentent de quelque manière que ce soit traîtres à la nation congolaise. On est ainsi dans une nationalité à géométrie variable, dont les pouvoirs congolais se servent sans décider une fois pour toutes qu’en matière de nationalité, le droit du sol, le droit du sang et le droit du cœur et de l’esprit s’équivalent et fondent le destin commun de tous les membres d’une communauté historico-sociale. Il faut lever cette hypothèque pour que la cause tutsie devienne une cause nationale assumée par toutes les Congolaises et tous les Congolais, loin d’épuisants conflits qui permettent au Rwanda de s’ingérer dans notre politique et dans notre géostratégie sous des prétextes que nous lui offrons sur un plateau en or. Nos pouvoirs publics ne peuvent-ils pas engager notre pays sur la voie de la pacification des cœurs et des esprits, afin d’établir avec tous nos voisins des relations de développement viable, fondée sur une supranationalité régionale qui nous permettrait tous et toutes de nous sentir chez nous partout dans les pays des Grands Lacs ?

L’ambiguïté de la communauté internationale

Les conflits actuels qui déchirent l’Est de notre pays sont liés à des enjeux mondiaux que tout le monde connaît. Depuis la décision du président William J. Clinton, de casser la dictature de Mobutu et de baliser la route du Rwanda comme puissance régionale, jusqu’à la politique de la renaissance africaine selon la vision américaine, dont Paul Kagame devait être l’un des parangons en Afrique centrale, la perspective d’un dépeçage de la RDC est toujours dans l’esprit de certains membres de ladite communauté internationale. Quand bien même il ne s’agirait pas d’un démembrement politique du Congo, il est de plus en plus clair que nos richesses sont, de facto, partagées par des groupes étrangers, avec la complicité de nos propres compatriotes qui se sont soit arrogés les droit de contrats léonins avec des conglomérats mondialisés, comme au Katanga, soit lancés dans l’occupation des portions du territoire national qu’ils administrent à leur profit, comme dans le Kivu. Cette dimension économique de la guerre de l’Est doit être prise en compte comme substance essentielle du conflit et perspective fondamentale de sens qui fait perdurer les conflagrations. Nos voisins, qui connaissent l’inépuisable richesse de notre sol et de notre sous-sol, et qui savent aussi à quel point nous sommes désorganisés, divisés, démoralisés et impuissants, ne se privent pas d’ambitionner de devenir maîtres chez nous ou d’étendre peu à peu, leur empire sur les richesses de certaines régions de notre nation. L’Ouganda vise le Lac Albert, l’Angola a déjà la région de Kahemba, le Rwanda ne désespère pas un jour de discipliner tout l’Est à son profit, même si actuellement son projet de siphonage des richesses congolaises de façon visible et impériale bat de l’aile face au désaveu qu’il subit de partout dans le monde.

Sachant tout cela, la communauté internationale aurait dû prendre des mesures dans les hautes instances des Nations unies pour éviter au Congo le destin des guerres attisées de l’étranger et des conflits envenimés par la voracité prédatrice des conglomérats mondiaux. Rien ne se fait dans ce sens. Les initiatives de construction de la paix ne sont pas soutenues avec vigueur. Aucune pression internationale ne s’exerce réellement ni sur les dirigeants congolais dans leurs dérives despotiques, ni sur les diverses rébellions qui fragilisent le pays, ni sur les Etats voisins qui lorgnent vers les richesses de la RDC, ni sur les conglomérats financiers qui tirent profit des troubles actuels, ni sur les vendeurs d’armes qui nous bercent de douces illusions d’une victoire militaire facile sur nos ennemis. A la place d’une telle pression, nous avons une présence onéreuse de la MONUC qui sert de force du statu quo devant des belligérants auxquels elle n’offre que des plans dérisoires de sortie de crise, sans une volonté décisive de paix dans la région des Grands Lacs. On comprend pourquoi le ministre congolais de la Défense traite la MONUC de tous les noms d’oiseaux de proie pendant que Laurent Nkunda la prend pour une empêcheuse de progresser en ligne droite vers Goma et vers Kinshasa. On comprend surtout pourquoi la population hésite à lui faire confiance à l’Est du Congo et exige des initiatives de paix plus crédibles qu’une présence militaire sans pouvoir d’intervention réelle, même quand les populations sont manifestement des cibles faciles pour les belligérants.

Cette posture de la MONUC montre à quel point la communauté internationale n’a aucune politique claire sur le Congo, surtout dans le domaine de l’exploitation des richesses congolaises par des conglomérats qui instrumentalisent nos compatriotes pour des intérêts qui ne sont pas les nôtres. Si nous attendons notre salut d’une telle communauté apathique et indifférente à notre sort, « nous dormons sur les œufs pourris », comme on dit au Kasaï. Nous ne pourrons obtenir rien d’autre qu’un état de guerre sans fin, ou un état de « ni guerre ni paix », qui ne deviendra jamais une base pour le développement, la renaissance et la résurrection de notre pays.

L’initiative de la paix devra venir de l’intérieur de nous-mêmes, du fond de notre propre volonté de paix, afin que nous devenions suffisamment forts, suffisamment unis et suffisamment organisés pour nous faire respecter par nos voisins et nous faire craindre, si cela est nécessaire à la paix de braves et à la construction de la communauté des pays des Grands Lacs, notre horizon de coopération politique, économique, sociale et culturelle pour le développement solidaire. Cette bataille de la paix ne vaut-elle pas plus que toutes nos guerres qui font inutilement couler le sang congolais sous le regard indifférent de la communauté internationale ? Osons la paix, construisons le bonheur solidaire

Les éléments d’analyse que je viens de mettre en lumière devraient nous pousser, nous Congolaises et Congolais, à chercher des solutions à la tragédie de la guerre de l’Est dans une approche intelligente et lucide de nos problèmes. Une approche capable de mettre le doigt sur les ressorts profonds qui peuvent nous servir d’énergie pour la paix et d’orientations pour le développement.

Ces ressorts devraient être suffisamment solides pour nous rendre capables d’agir vigoureusement sur nous-mêmes et d’influer sur les cours des événements, à partir de nos intérêts propres et de notre volonté de construire un espace de paix et de développement dans la région des Grands Lacs.

Le premier ressort, c’est de rassembler toutes les forces politiques et socioculturelles congolaises dans une démarche commune d’aménagement d’un espace démocratique crédible, où toutes les personnes, toutes les tribus, toutes les ethnies et toutes les cultures de notre pays trouvent leur place et promeuvent leur capacité de créativité dans des terroirs décentralisés, profondément créatifs. Nous devons le dire et le redire sans relâche : la voie d’une sortie véritable de la guerre est la voie de la démocratie décentralisée, qui permettre à chaque tribu, à chaque province et à chaque région de se bâtir en toute sécurité un destin avec une part importante des revenus de son propre sol et de son propre sous-sol. Le quota de 40 pour cent que garantit notre Constitution est un ratio de mon point de vue raisonnable

Le deuxième ressort est lié au premier : il concerne la capacité de chaque terroir à organiser son propre développement dans la force commune du développement national. La solidarité de nos terroirs dans la promotion humaine est la base d’une paix véritable. Sans la confiance de chaque tribu, de chaque province et de chaque région dans ses possibilités réelles de développement, nous continuerons à attiser des haines qui deviendront de plus en plus ataviques et nous exacerberons des antagonismes ethnico-tribaux qui verseront dans des nouvelles rébellions, avec le risque de devenir un nouveau Liberia, une nouvelle Sierra Leone ou une nouvelle Côte d’Ivoire en pleine Afrique Centrale.

Le troisième ressort, c’est la confiance que notre éthique politique doit pouvoir inspirer à nos voisins à partir de notre capacité de nous organiser non seulement militairement, mais aussi économiquement et politiquement, dans le refus de toute logique de la guerre, dans l’option pour une démocratie non-violente, qui ne compte que sur la force de la vérité et le souci de la promotion humaine et du bonheur communautaire.

Le quatrième ressort, c’est notre capacité à montrer à la communauté internationale que nous visons une politique d’intérêt national bien compris. Une politique de lutte déterminée contre la misère, contre les précarités, contre les abandons sociaux et contre les fractures matérielles entre citoyens, entre tribus, entre provinces et entre régions. Une telle politique tendrait à refuser de consacrer d’énormes sommes d’argent dans l’achat des armes pendant que notre pays souffre manifestement du manque d’infrastructures routières, éducatives, sanitaires et socioculturelles. Une nation qui choisit cette voie du bonheur de sa population ne peut pas devenir facilement la proie de ses voisins. Un gouvernement qui s’engage sur cette piste ne peut pas avoir peur d’une quelconque rébellion en son sein. C’est parce que nous avons opté pour une politique du mal que le mal s’est emparé de notre espace national pour en faire un espace d’anéantissement de l’humanité.

La paix négociée est plus féconde qu’une victoire destructrice

Je regarde de nouveau l’eau tranquille du Lac Kivu et je tourne les yeux vers les montagnes imperturbables du Massissi en pensant à vous qui lisez ce texte. Vous vous demandez sûrement en quoi la voie que je propose ici pourra permettre à nos princes du pouvoir à Kinshasa de chasser Nkunda de ces montagnes du Massissi, d’empêcher qu’il s’empare de ce beau lac magnifique de splendeur, de neutraliser le Rwanda dans ses instincts belliqueux ou de faire reculer l’Ouganda dans ses ambitions de s’emparer seul des richesses du Lac Albert. Vous vous demandez sûrement aussi pourquoi une bonne guerre, menée une bonne fois pour toutes avec une artillerie lourde et une vigoureuse couverture aérienne pour en finir avec la rébellion, ne serait pas plus efficace dans la situation actuelle que des considérations éthiques et politiques dans un contexte où notre pays est inutilement divisé et nos populations profondément meurtries. Sensible à la colère des faucons de notre gouvernement, aux souffrances quotidiennes de nos concitoyens dans des camps de fortune ou au discours des « va-t-en-guerre » nationalistes qui veulent en découdre avec Nkunda dans une conflagration finale qui l’écraserait totalement et pour toujours, vous vous demandez pourquoi nous devons perdre du temps à traiter avec un homme dont les détracteurs disent qu’il n’est pas fiable et qu’il a son propre agenda différent de toute perspective de paix, comme j’entends dire par certains ici à Goma même, au sujet de l’attitude négative du CNDP face au programme Amani.

Si vous vous posez la question en ces termes, vous n’avez pas compris le projet qui porte ma réflexion. Je ne compte sur aucune solution militaire dans la tragédie de l’Est du pays. Toute notre histoire montre que les solutions militaires ont été illusoires, depuis la victoire de Mobutu sur les rebelles de Gaston Soumialot et les mercenaires de Jean Schgramm jusqu’à la conquête de notre pays par l’AFDL. A l’Est, la guerre n’a jamais résolu les problèmes de fond qui sont liés aux fibres intimes de notre histoire et s’enracinent dans une mémoire vitale orageuse et chaotique. Dans la profondeur de nos drames humains et des atavismes qu’ils provoquent, à un certain degré de trauma et de meurtrissure vitale qui nos populations subissent depuis des décennies, compter sur la violence de la guerre ne mène nulle part. La guerre a parfois donné l’illusion que la violence pacificatrice et l’imposition d’un ordre dictatorial sont une voie souhaitable, comme au temps de Mobutu.

Nous savons cependant tous et toutes que c’est de l’Est, une région que Mobutu croyait avoir définitivement pacifiée, qu’est venue la chute du dictateur, à partir de l’éblouissante mémoire d’un petit maquis de résistance oublié quelque part à Fizi-Bora. Il a suffi que cette mémoire soit réactivée et qu’un groupe d’hommes décidés et déterminés se servent de Laurent-Désiré Kabila et de son potentiel d’évocation révolutionnaire pour que tout s’embrase de nouveau et que le Kivu se replonge dans la tragédie meurtrière, tout notre pays avec lui. Aujourd’hui également, il n’est pas sûr que l’écrasement de la rébellion par les armes conduira à une solution définitive des problèmes de l’Est. En cherchant cette solution par la guerre, nous nous enfermons dans le court terme. Et nous oublions que seul l’horizon du long terme balisé par des initiatives de paix dans les cœurs et dans les esprits peut conduire à bâtir un autre destin. Ce que la guerre n’a pas pu réaliser jusqu’ici, je pense que la paix seule pourra l’accomplir, si cette paix est fondée sur une politique de civilisation et d’humanité, sur une politique du bonheur et du bien, sur une politique d’intelligence, de responsabilité, de lucidité et de crédibilité, ces piliers d’un développement durable que nous sommes appelés à construire au lieu de tout détruire avec nos armes inutiles et vaines.

'C’est cette politique que je nous souhaite de tout cœur devant les montagnes majestueuses du Massissi et l’éclatante beauté du Lac Kivu, ce patrimoine écologique qui nous appelle à la splendeur du bonheur et l’éblouissante joie de vivre dans cette région des Grands Lacs qui est notre paradis ancestral. Pourquoi ne comprenons-nous pas ici que la paix négociée de manière crédible est plus féconde qu’une guerre menée dans une barbarie sans bornes, qui anéantit notre destin commun et détruit l’avenir de nos propres enfants ?

 

 Kä Mana

 Philosophe et théologien

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