Le Rwanda revient hanter la France:

Des documents montrent que l’Elysée avait été alerté très tôt du risque d’un génocide.

Liberation

03/07/2007

hubert_vedrine.jpgLa France en aura-t-elle jamais fini avec son rôle supposé ou réel avant et pendant le génocide de 1994 au Rwanda ? Hier, les avocats de 6 survivants du carnage ont indiqué avoir demandé les auditions des anciens ministres des Affaires étrangères et de la Défense, Alain Juppé et Pierre Joxe, mais aussi de l’ex-secrétaire général de l’Elysée sous François Mitterrand, Hubert Védrine.
Audition. En 2005, les plaignants rwandais ont obtenu l’ouverture d’une information judiciaire pour «complicité de génocide et de crimes contre l’humanité» visant des soldats de l’opération militaro-humanitaire Turquoise (été 1994). Leurs avocats fondent leur demande d’audition sur des documents d’archives remis récemment à la juge Florence Michon, du tribunal aux armées de Paris. Le quotidien le Monde a révélé, hier, l’existence de ces archives émanant de la présidence de la République. Ces documents montrent que l’Elysée, malgré ses dénégations, avait été alerté très tôt du risque d’un massacre généralisé au Rwanda.


 

 

Le S.G. de l'Elysée, Hubert Vedrine

Durant les années qui ont précédé le génocide contre les tutsis et les hutus modérés – au moins 800 000 morts -, la France était très impliquée au Rwanda. A la demande du président hutu, Juvénal Habyarimana, Paris a dépêché ses soldats, dès 1990, pour tenter de repousser les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé. Les militaires français n’auraient pas combattu directement le FPR mais dirigé en sous-main les opérations. Dans le même temps, ils avaient assuré la formation de militaires qui ont joué, plus tard, un rôle crucial dans le génocide.
Fin 1993, après avoir pesé en faveur des accords d’Arusha (Tanzanie), qui prévoyait un partage du pouvoir entre hutus et tutsis, Paris rapatriait ses soldats, cédant la place à l’ONU. Mais, le 6 avril 1994, le président Habyarimana mourait dans le crash de son avion, abattu par un missile. Aussitôt, les massacres commençaient. Les autorités de Kigali, qui reprochent à Paris de ne s’être jamais excusé, ont rompu leurs relations diplomatiques avec la France en novembre 2006. En 1998, une mission parlementaire d’information avait conclu à des manquements graves de la France, tout en rejetant l’accusation de complicité.
«Vieille thèse». Le Monde cite pourtant un télégramme diplomatique daté du 19 janvier 1993, rédigé par l’ambassadeur Georges Martres. Ce dernier rapporte un témoignage selon lequel le président rwandais Habyarimana aurait donné «l’ordre de procéder à un génocide systématique». Un mois plus tard, la DGSE évoquait «un vaste programme de purification ethnique [.] contre les tutsis».
«Il n’y a rien de nouveau dans ces documents, réagit le socialiste Paul Quilès, qui a dirigé la mission d’information. C’est la vieille thèse de Mitterrand complice du génocide ! Pourquoi, dans ce cas, la France aurait-elle pesé en faveur des accords d’Arusha?» Selon le chercheur Olivier Lanotte (1), «ces documents prouvent une chose : très tôt, les infos du terrain sont remontées jusqu’à l’Elysée».
(1) Auteur de La France au Rwanda (1990-1994), Éd. P.I.E. Peter Lang (Bruxelles)

 

 

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