RDC Le problème n°1 à affronter : l’armée

Marie-France Cros

07/02/07

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L'Envoyé de l'Union européenne dans les Grands Lacs, Aldo Ajello, rappelle les priorités. De l'armée dépend le reste. Or, elle est un problème.
Entretien
La priorité des priorités, sans quoi il n'y aura ni paix ni développement, c'est la réforme du secteur de sécurité – l'armée, la police et la justice".  Aldo Ajello, envoyé spécial de l'Union européenne dans les Grands Lacs et grand connaisseur du problème, ne se fait pas d'illusion : "L'armée est un problème gigantesque", reconnaît-il. "Elle est mal payée – parfois pas payée – pas équipée, pas nourrie, n'a aucune discipline et est dirigée par des officiers et
sous-officiers dont le but principal est de se remplir les poches et qui, pour la plupart, connaissent mieux les couloirs du palais présidentiel que les champs de bataille ou sont issus des rébellions et dépourvus de formation militaire réelle. Il faut nettoyer tout ça".
La Marine, le mieux

Le diplomate européen fait valoir que le programme de coopération européen Eusec a commencé le travail en mettant de l'ordre dans la chaîne de paiement. "Jusqu'ici, le chef d'état-major recevait de la Banque centrale l'argent nécessaire pour payer les militaires – y compris les "fantômes", effectifs déjà morts ou jamais nés mais qui
servent à grossir l'enveloppe totale -, prenait "sa part" puis faisait suivre l'enveloppe le long de toute la chaîne de
commandement. Chacun "se servant" au passage, quand l'enveloppe arrivait aux brigades, elle était vide. Eusec a déconnecté la chaîne de paiement de la chaîne de commandement. Aujourd'hui, la Banque centrale donne l'argent au bureau de l'administration, qui le fait parvenir directement aux brigades". Deux conseillers européens vérifient dans chaque brigade intégrée que les soldats sont bien payés.

L'autre chantier, poursuit Aldo Ajello, est "un état des lieux sérieux de l'armée congolaise – Terre, Aviation et Marine (ce qu'il y a de mieux dans l'armée congolaise). Après, il faudra faire la maquette de ce que sera lanouvelle armée. Et à partir de là, la Belgique, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Afrique du Sud et l'Angola – les six pays qui aident le Congo en la matière – et l'Onu, vont chacun se charger d'un morceau de l'ensemble et le financer. Les pays ont en effet préféré cette solution, qui permet à chacun de planter un drapeau sur ses réalisations, plutôt que de créer un fonds commun".

La police et le secteur de la justice devront subir le même
aggiornamento.

"Ce sont les trois choses essentielles à faire", insiste le diplomate. "Même si ce n'est pas dans les cinq priorités du
gouvernement, ce problème les chapeaute parce que sans armée, le gouvernement n'aura aucune souveraineté sur le territoire car l'armée actuelle est un élément de déstabilisation et d'insécurité".

Désarmement en panne

Avant d'y arriver, cependant, on se heurte au problème du désarmement qui, au Congo, dure depuis des années.  Pourquoi ? Aldo Ajello qui, comme représentant spécial de l'Onu au Mozambique en 1992 a une expérience personnelle de ce genre de processus, offre un diagnostic. "Au Congo, c'est la Banque mondiale qui dirige le processus, pas les Nations unies. Ce genre d'opération doit être fait de façon neutre, afin qu'aucune des parties ne puisse penser que l'autre est favorisée. C'est ce que nous avons fait au Mozambique : l'Onu gérait directement l'opération et le gouvernement mozambicain n'était notre partenaire que pour payer les salaires et les indemnités. Au Congo, en revanche, la Banque mondiale a appliqué les principes de la politique d'aide au développement à la
démobilisation de soldats : elle a lancé le "government ownership", c'est-à-dire qu'elle a donné au gouvernement – une des parties – le pouvoir de décision. Elle a mis les décisions à prendre dans les mains de gens qui n'avaient pas intérêt à faire avancer le processus parce qu'ils profitent pécuniairement du statu quo. C'est une erreur
monstre. Je me suis battu comme un fou contre ce système. On m'a répondu que la Banque mondiale savait mieux. Or la Banque ne sait pas du tout : ce n'est pas son métier. Ainsi, selon ses règles internes, elle ne peut pas s'occuper de gens armés; elle ne pouvait donc prendre ces gens en charge qu'après leur désarmement. Cela a
créé un "bouchon" dès le début. Second problème : elle a laissé créer une machine bureaucratique énorme. Parmi les multiples comités qu'elle compte, celui chargé de la gestion présentait délibérément des projets en contradiction avec les règles de la Banque, qu'elle devait refuser ".  Depuis juillet dernier, les activités de démobilisation sont suspendues, l'organisme congolais qui en est chargé ayant annoncé n'avoir plus de fonds.

 

La Libre

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