Une révolution au Sénat !

Jean N'saka wa N'saka

14/05/07

senat.jpgDepuis les événements dramatiques du 22 au 23 mars survenus à Kinshasa entre les FARDC et les soldats de la garde rapprochée de Jean-Pierre bemba, l’un des ex-vice-présidents de la transition devenu sénateur et leader auto-proclamé de « l’Opposition forte et républicaine », et qui ont eu des répercussions fâcheuses dans les cercles diplomatiques occidentaux, les architectes du processus politique et électoral en RDC ont semblé avoir la conscience chargée. Leurs représentants basés à Kinshasa ont diffusé un communiqué virulent aux termes duquel ils appelaient les choses par leur nom. La Communauté internationale donnait ainsi l’impression de faire son autocritique et de changer son fusil d’épaule. Ce revirement inattendu ne pouvait manquer d’influer sur la mentalité des politiciens rdcongolais habitués à calquer leurs faits et gestes sur les réactions ou prises de position de l’Occident. Ce n’est pas par hasard que les députés de « l’Opposition forte et républicaine » jusque-là apathiques, s’étaient momentanément donnés en spectacle, tant et si bien qu’ils étaient en apparence déterminés à mettre le pouvoir au pied du mur.

Qu’ils ne soient pas allés jusqu’au bout de leur combat, ce n’était que partie remise pour des raisons tactiques dictées par des sources occultes qui les ont rappelés gentiment à l’ordre. Les Occidentaux ont beau exhorter les dépositaires du pouvoir à la sagesse et à la modération pour sauver les meubles et préserver un semblant d’équilibre des forces qu’ils en seraient finalement fatigués. Ils ont plus d’une ressource. Ils peuvent, s’ils le veulent, renverser la vapeur d’une manière ou d’une autre, sans que les faucons qui font le matamore ne s’en rendent compte. Dopée par ses victoires à tous les niveaux des scrutins, l’Alliance pour la majorité présidentielle était devenue tellement puissante qu’elle a absorbé la société civile. Gonflée à bloc et s’estimant monolithique, elle ne pouvait s’arrêter en si bon chemin et songer à faire des cadeaux à qui que ce soit. La Présidence de la République, l’Assemblée nationale et tout son bureau, le gouvernement, les organes délibérants provinciaux, les gouverneurs de province, quel magnifique ableau de performances pour l’AMP !
Il ne restait plus qu’un maillon de la chaîne non moins important pour compléter la collection d’exploits. Contre toute attente, ce maillon qu’elle croyait sûrement à sa portée, a mystérieusement glissé des mains de l’AMP qui en a reçu, à la place, une terrible douche froide. Une véritable révolution vient de s’opérer au Sénat où un outsider, en la personne de Léon Kengo wa Dondo, a été élu vendredi président du bureau définitif, battant incroyablement le favori Léonard She Okitundu de l’AMP. Plusieurs fois Premier commissaire d’Etat dans le régime de Mobutu, parti en exil d’où il est revenu il n’y a guère longtemps, adhérent à l’Union pour la Nation avec un discours de récipiendaire bien senti aux accents de gentlemen, Kengo wa Dondo s’est fait coopter sénateur sous l’étiquette « Indépendant ». Comment l’Alliance pour la majorité présidentielle qui avait humilié l’Union pour la Nation partout même sur ses propres plates-bandes à Kinshasa, Matadi, Kananga et Mbuji-Mayi, a-t-elle mordu la poussière au Sénat, se laissant ainsi souffler comme une fleur le dernier maillon de la chaîne qu’elle considérait comme acquis ?

 

Réhabilitation de l’Opposition

Des observateurs objectifs et des analystes politiques clairvoyants avaient déjà pressenti ce qui vient de se passer au sénat. Fidèle à sa capacité d’analyse et d’anticipation des événements, Le Phare dans son édition du jeudi 10 mai en manchette, entrevoyait déjà le spectacle qui allait se produire au Sénat. Le quotidien de l’avenue Lukusa prenait la température de la scène politique en général, tablait sur le climat régnant au sein de l’AMP où se sont dessinées des frustrations, mettait les trois candidats (She Okitundu, Marini, Kengo) dans la balance et cherchait à voir combien chacun d’eux pesait individuellement. Dans cette démarche, le journal en arrivait à conjecturer que Léon Kengo restait celui qui pourrait surprendre à l’issue du vote. La suite des enjeux n’a pas démenti l’analyse et les pronostics faits par ce journal. Une révolution inattendue a eu lieu au Sénat.
Les deux plates-formes rivales, l’une au pouvoir l’autre dans l’Opposition dite parlementaire, sont désormais logées à la même enseigne. L’Alliance pour la majorité présidentielle qui s’est jouée de l’Union pour la Nation en se réjouissant de sa dislocation, ne peut plus se vanter outre mesure de son caractère monolithique à toute épreuve. Ce qui vient de se produire au Sénat n’est pas un incident de parcours. Loin de là. C’est la résultante de la mise e condition des esprits par une combinaison de stratégies conçues et téléguidées par ceux qui sont résolus à sauvegarder leur entreprise en perdition depuis sa mise sur pied. Les meneurs locaux de cette révolution savent qu’ils ne sont plus en odeur de sainteté dans l’Alliance pour la majorité présidentielle où ils sont considérés comme des traîtres. Ils savent désormais à quoi s’en tenir et devraient se comporter en conséquence. De toute façon, eu égard à la personnalité et à l’esprit d’indépendance de celui qui va avoir la police des débats dorénavant, l’alignement du Sénat sur les vues de l’AMP comme à l’Assemblée nationale s’avère pratiquement difficile.
C’est peut-être par le Sénat que les Occidentaux voudraient retaper un vernis de démocratie que les velléités autocratiques ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour gratter et effacer des institutions de la IIIème République. C’est une réhabilitation stratégique indirecte de l’opposition « forte et républicaine » que la Communauté internationale ne cesse d’exiger depuis les événements du 22 au 23 mars de cette année. Ces opposants ont d’ores et déjà une tribune où ils ne seront pas traités en parents pauvres, considérés comme quantité négligeable. La dynamique nouvelle qui se développerait virtuellement à la chambre haute ne pourrait, tôt ou tard et dans une certaine mesure, manquer de déteindre sur la chambre basse.

Effectivement Kengo a surpris vendredi en battant à plate couture un concurrent d’une plate-forme supposée monolithique et invincible à tous les niveaux du processus électoral, et dont le sénat restait le dernier maillon de la chaîne. Son élection n’a pas démenti l’analyse et les pronostics du quotidien Le Phare que je venais d’évoquer dans cet article. Il est vrai que l’Alliance pour la majorité présidentielle a obtenu la première vice-présidence en la personne d’Edouard Mokolo wa Mpompo et d’autres postes complémentaires de l’ensemble du bureau définitif du Sénat. Mais le poste de président est stratégique en considération du rôle qu’il a à jouer en exerçant la police des débats, et surtout la responsabilité de la charge qui lui revient en cas de vacance au sommet de l’Etat. Autodiscipliné, rigoureux, autoritaire et vieux routier, fort de ces qualités qu’on lui connaît, Kengo est censé être capable de ramener les parlementaires rdcongolais qui se fourvoient de plus en plus dans la complaisance, sur le chemin de l’honneur, de la dignité et de la responsabilité à partir du Sénat.

 

Le phare

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