A-t-on lu Nkunda en diagonale ?

Jean N’Saka wa N’Saka

18/06/07

 

Après être tombé sur une lettre que le général insoumis Laurent Nkunda avait adressée au Premier ministre Antoine Gizenga le 07 mai 2007 avec son annexe intitulée « Le cahier des charges de Laurent Nkunda », Le Phare s’y est étendu à deux reprises dans ses éditions du 1er juin et du 12 juin 2007.
La première fois le vendredi 1er juin, il en avait fait son leader portant la manchette : « ce que Nkunda nous prépare ! » Il avait étalé sur deux pages entières (2-3) des extraits des documents en question et de larges commentaires de la veine de sa rédaction. La deuxième fois, le mardi 12 juin, il reproduit in extenso et en exclusivité « Le cahier des charges de Laurent Nkunda » orné d’un chapeau solidement charpenté et encadré en gras sur deux colonnes. Dans ce chapeau, le quotidien de l’avenue Lukusa expliquait pourquoi il était préoccupé de ce rebondissement de Nkunda. « Le gouvernement aurait-il-révoqué le mandat d’arrêt international lancé contre lui ? Entendrait-il faire de lui l’unique interlocuteur et l’ultime bénéficiaire du dialogue que toutes les tendances politiques et sociales réclament pourtant à haute voix ? »

« Bien que pour des raisons encore difficiles à entrevoir, poursuit Le Phare, personne n’ose côté officiel congolais éventrer le boa et lever le tabou en mettant brutalement toutes ces questions sur la table, tous les observateurs se doutent néanmoins que le Kivu, et partant tout le Congo, est de nouveau assis sur un volcan en ébullition. « Voilà pourquoi, explique-t-il, à cause d’un silence qui confirme, en fin des comptes, les terribles prétentions de Laurent Nkunda, Le Phare a décidé de publier les deux documents du Chairman du CNDP. Pour la bonne et simple raison que si les officiels congolais tentent d’éviter le débat, au moins nos compatriotes doivent être informés des tenants et des aboutissants de cette affaire. Et donc de ce qui, demain, risque de leur arriver. Cela s’appelle droit à l’information… « Sous d’autres cieux dotés d’institutions légitimes qui se respectent et conscientes de leurs responsabilités à l’égard de la Nation et du peuple, la publication, que dis-je ? la divulgation des documents de Laurent Nkunda dont le contenu est effrayant et sent la poudre, aurait été un SOS pour réveiller les rouages de l’Etat toutes affaires cessantes.

Malheureusement, tout se passe comme du temps de Noé ou de Titanic où les gens s’amusaient et festoyaient sans se rendre compte qu’ils jubilaient sur un volcan. Les uns et les autres furent finalement surpris et emportés. A-t-on lu les documents de Nkunda en diagonale ? Nkunda révèle que « des entretiens ont eu lieu à Kigali, la capitale rwandaise, entre le Général-major John Numbi, envoyé personnel du chef de l’Etat et commandant suprême des FARDC d’une part, et d’autre part moi-même représentant le Haut commandement militaire du CNDP, sous la modération du général James Kabarebe, chef d’Etat-major général des Forces rwandaises de défense. Ces entretiens ont abouti à un gentleman’s agreement qui consistait en l’instauration immédiate d’un cessez-le-feu permanent… ». Le début des négociations politiques entre le Gouvernement (RDC) et le CNDP en vue de la satisfaction des revendications contenues dans le cahier des charges de celui-ci (CNDP). » Un général insoumis et, circonstance aggravante, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, révèle qu’il est devenu un interlocuteur valable, qu’il a été honoré de la visite d’un émissaire personnel du chef de l’Etat, que tous les deux ont négocié et pris des engagements à Kigali chez Paul Kagamé, sous la médiation de son bras droit militaire James Kabarebe ! On garde un silence inexplicable et stupéfiant !
Il est étonnant que ces révélations si graves n’aient pas fait frissonner. On note encore : « Le processus de mixage est en panne au Sud-Kivu et dans les territoires de Beni et Lubero au Nord-Kivu. L’ensemble des Forces est mal encadré, sans logistique et sans moyens de survie nécessaires à l’accomplissement efficace de ses missions. Les négociations convenues n’ont jamais connu le moindre début de commencement. La Province du Nord-Kivu et celle du Sud-Kivu sont infestées d’ex-FAR/Interhamwe communément appelées FDLR. Ces forces négatives pillent, violent et tuent des Congolaises et des Congolais depuis de nombreuses années. Elles constituent la principale force hostile à laquelle se heurtent les FARDC dans leur mission de sécurisation du peuple congolais. Il est plus qu’urgent de faire connaître sans ambiguïté aucune, la position du gouvernement de la République face à cette problématique FDLR : soit on les combats sans merci en vue de l’éradication définitive de leur nuisible présence en RDC, auquel cas il faut doter les FARDC de tous les moyens adéquats ou au cas contraire trouver une formule consistant à en faire des réfugiés normaux. Il importe d’avoir une clarté et une unité dans le discours aussi bien que dans l’action. La parole donnée à Kigali, en janvier dernier, par l’envoyé personnel du chef de l’Etat, ne devrait souffrir d’aucun manquement, sous peine de décourager les bonnes volontés qui s’inscrivent pleinement dans la voie de la pacification et de la concorde retrouvée dans notre pays. » Tirés de la lettre adressée au Premier ministre, ces extraits brossent à grands traits la situation prévalant dans l’ex-Kivu. Ici Nkunda et l’archevêque de Bukavu Xavier Maroy se rencontrent bien qu’ils défendent deux communautés ethniques différentes avec des sentiments tout aussi différents. Mais, c’est dans son cahier des charges que Laurent Nkunda ne badine pas, s’exprime en maître et montre de quel bois il se chauffe. Le ton et la teneur de son document ne prêtent à aucune équivoque quant à ce à quoi devraient s’attendre les animateurs des rouages de l’Etat issus du processus qu’il considère comme ayant lamentablement échoué.

Réquisitoire sévère

Noir sur blanc dans le cahier des charges de Nkunda retentissent ces coups de semonce : « Ainsi, en cette mi-octobre 2006, au moment où nous écrivons ces lignes, tous les ingrédients sont réunis pour que la Transition démocratique en RDC sombre dans le chaos et que la lente agonie du peuple congolais se poursuive inexorablement. Nous avons décidé de créer le CNDP en vue de refuser cette fatalité et d’inciter nos dirigeants à y faire face, au besoin de les y contraindre par tous les moyens, de préférence par le biais de la persuasion ou de la négociation. C’est pourquoi, à travers ce document, le CNDP commence par prendre à témoin l’opinion tant nationale qu’internationale, en faisant le constat suivant… «La classe politique congolaise et ses parrains internationaux ont pris la lourde responsabilité d’engager notre pays et notre peuple dans un processus électoral absolument biaisé, parce que manifestement mal préparé… Notre classe dirigeante, évoluant sous la tutelle non dissimulée de la Communauté internationale, a décidé de tenir des élections générales dans notre pays sans qu’au préalable elle n’ait réussi à mettre en œuvre un seul des cinq objectifs déclarés de la Transition…
« … Elle a décidé d’avancer les yeux fermés sans trop savoir où elle pose le pied, même si devant elle s’ouvre un immense gouffre dans lequel elle s’apprête à entraîner la nation congolaise tout entière. Pour preuve, voyez ce qu’elle nous a servi dès la proclamation des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, en ayant goût de ce qu’elle nous réserve au terme du processus électoral… Il n’y a plus que des féroces rivaux politiques prêts à tout, y compris au pire, pour garder jalousement privilèges et prébendes indus… Qu’attendre des dirigeants élus dans de telles conditions sinon l’instauration ou la perpétuation au cœur même de l’Etat, de ces antivaleurs qui ont rendu notre pays aussi misérable et notre peuple aussi malheureux ?… «La Transition politique en RDC a lamentablement échoué, car si l’on passe en revue les cinq objectifs qu’elle s’était fixés, l’on se rend aisément compte qu’aucun d’eux n’a été atteint. Les voici : – la réconciliation nationale : échec – la pacification, la reconstruction du pays et le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du Territoire national : échec – la formation d’une armée nationale restructurée et intégrée : échec – l’organisation d’élections libres et transparentes à tous les niveaux permettant la mise en place d’un régime constitutionnel et démocratique : échec – la mise en place des structures devant aboutir à un nouvel ordre politique : échec.

Les batteries de Nkunda

Après avoir développé son réquisitoire sévère accompagné de violents coups de semonce, Nkunda dévoile ses batteries qu’il entend actionner pour forcer la main aux dirigeants de la IIIème République. « Le CNDP veut obliger les uns et les autres à tenir leurs engagements envers le peuple congolais. C’est un mouvement politico-militaire qui se situe résolument dans l’opposition. Ses forces armées ne sont pas négatives, mais des forces nationales non intégrées. Pour devenir et pour que le CNDP rejoigne la classe politique traditionnelle, les autorités en charge des affaires publiques doivent au préalable donner un signal fort de leur volonté de changement au profit du peuple congolais en quête de réconciliation et d’unité… »
Tout le cahier des charges de Nkunda est corsé de mots crus susceptibles de donner la chair de poule et de glacer le sang pour les fils et filles sensibles de ce pays qui sentent vibrer dans leur cœur et dans le tréfonds de leur âme les fibres du patriotisme et du nationalisme. C’est le cas du leadership rédactionnel du quotidien Le Phare qui, conscient de la gravité et de l’imminence du danger, s’est donné la peine, à deux reprises, de remuer Nkunda avec l’espoir de réveiller ceux qui dorment encore d’un sommeil de plomb alors que le péril est à nos portes. C’est ce même espoir d’émouvoir l’opinion de ceux qui sont réfractaires à la compréhension et qui auraient lu en diagonale les documents et commentaires publiés par le quotidien de l’avenue Colonel Lukusa que j’y reviens pour enfoncer le clou. Le message de Nkunda ne prête à aucune équivoque. Il ne tarderait pas à joindre le geste à la parole. Il n’est pas le seul. Les FDLR et Interhamwe qui sont à demeure à l’Est – précisément au Nord-Kivu – ont déjà donné le ton. Il n’est pires sourds que ceux qui ne veulent pas comprendre.

 

Le Phare

Leave a Reply