Affaire Bemba : de gros points d’interrogation !

Kenge Mukengeshayi

13/04/07

chairman_bemba.jpgJean-Pierre Bemba est finalement sorti du pays. Direction : le Portugal, où l’ex-vice-président dispose d’un coquet pied-à-terre. Mais rien ne permet de dire que le chairman nous reviendra de sitôt : ni les conditions posées pour son séjour, ni sa sécurité personnelle à son retour, ni encore moins les pressions sur sa famille politique.

Provisoirement, sans doute, l’aspect judiciaire semble avoir été mis entre parenthèses. Cela devenait ardu et l’opinion n’était pas toujours prête à accepter de voir la justice achever le boulot que les affrontements des 22 et 23 mars n’ont pas été en mesure de finir. Il eut fallu, notamment, attendre que le Parquet lance une réquisition d’information. Ensuite, l’étape de l’inculpation avant la demande de la levée de l’immunité parlementaire.
Bref, la patate devenant soudain trop chaude, il fallait dans l’urgence sauver la face de tout le monde et organiser une sortie honorable pour chacun des acteurs. Résultat : mercredi matin, JP Bemba Gombo prenait son B 727 privé pour rejoindre le Portugal.
Après 15 jours d’une partie de ping-pong à trois entre les gouvernements congolais, portugais ainsi que le chairman du MLC, c’est le président du Bureau provisoire du sénat qui a signé l’autorisation de sortie. Officiellement pour raison de santé. JP Bemba a ainsi devant lui 60 jours pour soigner sa jambe malade, dont la fracture remonte à l’année dernière. Mais le gouvernement de Lisbonne n’a accepté de l’accueillir qu’à la condition qu’il n’exercerait durant tout son séjour aucune activité politique sur le sol portugais.

Quand victoire et défaite se confondent

Désormais, c’est dans une villa de Quinta do Lago que JP Bemba, sa femme et ses cinq enfants passeront leur séjour. Le Boeing 727 de l’ancien vice-président a atterri à Faro, à 300 km au sud de Lisbonne. Entourée d’une forte protection policière, la villa de Quinta do Lago est située à une dizaine de kilomètres de la ville de Faro.
Ce dénouement n’a évidemment pas été facile. Entre ceux qui voulaient voir JPB s’expliquer, tout de suite, devant les tribunaux, et ceux qui soutenaient, à coup de menaces, la thèse d’une Opposition plus accommo-dante, les jeux n’étaient naturellement pas faits. Surtout lorsque les chancelleries y sont allées de leur chœur, déplorant dans un langage très peu diplomatique l’usage de la force et recommandant ostensible-ment le dialogue.
Surprise par le rapide déraillement d’un processus qu’elle a porté à bout de bras, la Communauté internationale a dû élever la voix. C’est vrai que quelques obus de mortier sont passés par là, ainsi que quelques épisodes de pillage, heureusement limités. Le bilan n’en était pas moins effrayant : des diplomates touchés, des chancelleries visitées, des commerces pillés. Enfin et surtout : de nombreuses victimes innocentes. L’écrasement du malheureux candidat de la présidentielle risquait de laisser un arrière goût amer d’échec politique.
Il se raconte à Kinshasa qu’affolés, des diplomates ont tenté – en vain – d’appeler au calme. Jusqu’au coup de gueule du Nigérian Obasanjo, disant au Secrétaire général de l’ONU toute sa colère du fait que ce soit son ambassadeur qui trinque, alors que le Nigeria est un grand contributeur des missions de paix onusiennes … William Lacy Swing avait dû se précipiter au chevet de son collègue nigérian dans l’espoir d’organiser son transfert. Mais celui-ci était déjà hors danger après avoir été opéré, sur place à Kinshasa, par un chirurgien congolais. N’empêche : on n’était pas loin – c’est un doux euphémisme – d’un désastre diplomatique.

Mission suicide

Fermeté et dialogue. Il n’y avait plus alors que deux termes pour tenter de relancer une machine qui avait une forte propension à s’enrayer. Du coup, après des moments de flottement fort embarrassants, sur lesquels on a fort glosé dans les quartiers populaires de Kinshasa, Bruxelles décidait de reprendre l’initiative pour tenter de sauver ce qui pouvait encore l’être.
En mission casse-cou en RD Congo depuis mardi, le ministre belge des Affaires Etrangères avait une triple et délicate mission. D’abord, exprimer de vive voix la désapprobation de la Communauté internationale, déjà puissamment traduite dans la déclaration de l’Union Européenne rendue publique quatre jours après les affrontements. Ensuite, faire passer l’idée que tout retour à la pensée unique serait un désastre. Enfin, arracher un apaisement dans l’objectif de relancer un processus politique visiblement mal en point.
Devant tous ses interlocuteurs – Bureau de l’Assemblée Nationale, Affaires étrangères, Présidence de la République – Karel De Gucht a ainsi déploré sans détours l’usage de la force, prôné le dialogue et insisté pour que l’Opposition ait toute sa place dans la jeune démocratie congolaise. Mardi soir au Palais du peuple, le chef de la diplomatie belge avait en effet entendu le Secrétaire Général du MLC, François Mwamba Tshishimbi, se plaindre des exactions subies par les membres de l’UN. Avant de saluer les efforts du Président de l’Assemblée nationale pour créer un espace à l’Opposition, notamment dans les commissions permanentes, dont deux seront présidées par l’UN, et de souhaiter la sortie ainsi que le retour rapide de JP Bemba.
François Mwamba émettait visiblement sur la même longueur d’ondes que la plupart des partenaires de la RDC, indignés à l’idée que près de 42% de voix qui s’étaient identifiées au leader du MLC lors de la présidentielle soient du jour au lendemain privées de représentation, au risque de relancer la frustration et l’instabilité.

Gros points d’interrogation

Au total, plusieurs questions de fond demeurent sans réponse, estiment les analystes dans la capitale congolaise. La première : comment JP Bemba pourrait-il revenir à Kinshasa s’il n’a toujours pas le sentiment que sa sécurité y sera garantie ? Deuxième question : au cas où elle serait privée pour longtemps de son leader, que deviendrait l’Opposition institutionnelle en l’absence de JPB ? Il n’y a pas là que la perspective de l’éclatement d’une plate-forme politique ou sa soumission à la pensée unique. Il y a pire : la mort du débat politique dans notre pays et le retour aux années de plomb.
C’est là le principal enjeu de la période post affrontements qui a démarré, en termes de survie d’une opposition qui se voulait une alternative solide et crédible. Et face à cet enjeu, il est évident que l’UN commettrait une erreur fatale en s’enfermant dans un face à face mortel avec ceux qui n’ont qu’un seul objectif : l’avaler ou l’accommoder à leur goût. Dans une déclaration politique rendue publique hier, le Bureau politique du MLC s’est voulu rassurant et a voulu se rassurer lui-même en souhaitant à la fois le retour rapide de JP Bemba et le vote de la loi portant statut de l’Opposition. Il faut désormais espérer que les actes se conforment effectivement au discours, sous peine, là aussi, de trahir le serment au MLC et d’enterrer définitivement JP Bemba.

 

Le Phare

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