Condoleezza Rice : le dernier message de George W. Bush.

Kenge Mukengeshayi

13/07//07

 

Depuis le début de la semaine, tout Kinshasa politique et diplomatique ne parle que de cela. La Secrétaire d’Etat américaine, Mme Condoleezza Rice, est attendue à Kinshasa dans le courant de la semaine prochaine, plus exactement le mercredi 18 juillet. Un déplacement qui entre dans le cadre d’une tournée qu’entreprend la chef de la diplomatie américaine à partir du 16 juillet, d’abord au Moyen Orient – où elle devrait passer par Israël avant les territoires palestiniens – pour conclure par le continent africain.

En Afrique, Condoleezza Rice visitera deux pays symboles. Symbole de l’Afrique qui réussit, avec le Ghana, où elle va participer au Forum sur le commerce et la coopération avec l’Afrique subsaharienne, AGOA. Symbole, également, de l’Afrique qui peine, avec la République Démocratique du Congo, un pays post-conflit qui tente de reprendre sa place dans le concert des nations grâce à un processus politique sensé apporter la paix, la réconciliation, la sécurité pour tous, la stabilité, le respect des droits de l’homme, la démocratie et la croissance économique.

Enigme

Personne n’est encore en mesure, à ce stade, de donner le détail du séjour de la Secrétaire d’Etat américaine, qui ne devrait rester que quelques heures seulement à Kinshasa. Les observateurs notent cependant – et ce n’est pas un simple détail – que la visite de Condoleezza Rice intervient dans la foulée de celle d’une délégation du Conseil de sécurité, il y a un mois, sous la conduite de l’Ambassadeur français à l’ONU, Jean-Marc De la Sablière. Mais aussi et surtout après celle d’une autre Secrétaire d’Etat, Mme Albright, en 1997. Au minimum, il y a lieu de s’interroger sur le réveil soudain des Américains et sur le sens de ce déplacement lorsqu’on sait que la délégation onusienne a récemment eu à faire l’évaluation du processus politique en RD Congo et s’est investie dans la collecte de toutes les données indispensables pour définir le profil du nouvel engagement de la Communauté internationale dans ce pays.

La question est donc de savoir où se situerait, dans ce processus, la particularité de la perception américaine. Ou encore sur quel détail précis l’administration Bush entendrait-elle insister plus que d’autres, si tant est que la Communauté internationale a jusqu’ici œuvré de manière collective, excluant toute velléité de cavalier seul de la part de l’un ou l’autre membre du Conseil de sécurité, ou une dangereuse compétition sur un bassin déclaré ouvert par les puissances de la conférence internationale de Berlin de 1885.

Ventre mou

La réponse pourrait se situer dans un double facteur. D’abord le fait, indiscutable, que la RDC n’est plus cette puissance sous-régionale qu’elle fut, au service du monde occidental comme rempart à l’avancée du communisme et gendarme chargé des opérations de maintien de l’ordre au Tchad ou au Rwanda. Ce rôle là, la RDC ne peut plus le jouer, non seulement parce que l’époque a changé, mais aussi et surtout parce qu’elle n’en a plus les moyens.
En revanche, depuis une dizaine d’années, notre pays est malheureusement devenu le ventre mou de l’Afrique centrale, avec des guerres à répétition qui en font un foyer de création et d’expansion de l’instabilité, le risque étant donc, soit de voir ce pays se transformer en sanctuaire pour les forces négatives susceptibles de maintenir l’ensemble de la Sous-région dans une instabilité permanente, soit d’offrir une nouvelle zone d’opération à la maffia internationale ainsi qu’au terrorisme de plus en plus tenté par l’acquisition des armes de destruction massive à base d’uranium.
En d’autres termes, la RDC est plutôt sous surveillance. Ce que suggèrent du reste les multiples visites des sommités internationales dans notre pays, la visite de la Secrétaire d’Etat américaine apparaissant ainsi comme l’ultime opportunité pour relancer, sans aucune possibilité d’ambiguïté, la thématique d’un Comité International d’Appui à la Transition – CIAT- revu et corrigé.
Bref, contrairement à certaines idées reçues, c’est bel et bien un message fort qu’entend délivrer Condoleezza Rice aux dirigeants congolais. Selon plusieurs sources en effet, la chef de la diplomatie américaine a une parfaite maîtrise du dossier congolais, sur lequel elle avait déjà eu à se pencher au moment où elle était la Conseillère du Président G.W. Bush en charge de la sécurité. Celle dont on dit, par ailleurs, qu’elle constitue un talent et une chance incontestables pour le camp républicain dans la perspective des prochaines élections présidentielles américaines ne vient donc pas parler de la pluie et du beau temps avec les Congolais. Bien au contraire, Mme Condoleezza Rice devrait mettre à profit son très court séjour congolais pour décrire à grands traits les préoccupations de l’administration américaine à l’étape actuelle du processus de normalisation politique dans notre pays. Ce qui pourrait introduire, selon de nombreux analystes, des nuances notables dans la position américaine au regard des résultats somme toute mitigés engrangés par le processus et de nouvelles tensions qui montent à l’Est de la République.

Messages forts

Que cette visite intervienne au lendemain de celle du la délégation du Conseil de sécurité souligne ainsi l’urgence de la situation telle qu’elle est ressentie par l’administration Bush. Surtout si l’on n’oublie pas que Washington constitue le principal contributeur au budget de la mission des Nations Unies en RDC, en sursis jusqu’à la fin de l’année après la dernière prorogation de son mandat pour 6 mois.
Le premier message pourrait en fin se situer là, liant désormais le maintien de la Monuc à un niveau acceptable, et surtout le soutien financier de la Communauté internationale, à des progrès réels et tangibles aussi bien sur le plan interne que sur le plan de la Sous-région.
Au plan interne, on croit savoir que Washington n’aurait pas beaucoup apprécié que le processus politique voulu réconciliateur ait engendré de nouvelles exclusions et des frustrations additionnelles. On regretterait notamment au Département d’Etat que le seul parti politique congolais – l’Udps – dont la contribution a été unanimement jugée déterminante à l’avènement de la démocratie dans notre pays n’ait pas pu, à tort ou à raison, participer aux élections, donnant à celles-ci un goût d’inachevé. De la même manière, la gestion des événements de mars dernier a pu donner, vue de Washington, l’impression d’un retour en arrière au profit d’un régime de plus en plus répressif et autoritaire. Bref, dans un cas comme dans l’autre, l’on insisterait dans la capitale américaine sur le fait qu’il n’existe pas de véritable démocratie sans la liberté d’expression et de manifestation, ou encore sans une opposition responsable et indépendante, quand bien même le projet de loi sur le statut de l’Opposition a pu paraître aux yeux de certains comme une avancée significative.
Toujours au plan interne, les nouvelles tensions dans les provinces de l’Est ne sont pas analysées à Washington comme un pas dans la bonne direction et un signe de réussite. La mauvaise gestion du dossier Nkunda, le retour des milices ethniques ainsi que la persistance des forces négatives sont autant des signaux inquiétants qu’il faudra ainsi traiter en privilégiant les gestes susceptibles de faire renaître la confiance aussi bien entre les communautés que dans les rapports entre la RDC et ses voisins. Il s’agit là d’une véritable urgence soulignée par des rapports sérieux comme celui de l’Institut américain International Crisis Group et par le récent cri d’alarme des évêques catholiques, selon lequel « la maison brûle ».

Les leçons de l’histoire

L’histoire récente de la République Démocratique du Congo enseigne, justement, que les Secrétaires d’Etat américains n’ont jamais effectué dans notre pays de simples visites de villégiature. Ainsi celle de James Baker à la fin des années 80 avait poussé le Maréchal Mobutu à organiser précipitamment les consultations populaires qui ont abouti au célèbre discours du 24 avril 1990. De même, c’est le message sans ambiguïté de Mme Albrigt à la fin de la décennie 90 qui avait clairement invité Mzee Laurent-Désiré Kabila à entreprendre la démocratisation de son régime, avant le geste rageur qui avait consommé le divorce entre l’ancien Président congolais et l’administration Clinton.

 

Le Phare

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