La crise en RD Congo : L’heure du choix a sonné.

Kenge Mukengeshayi

19/04/07

Dans ces mêmes colonnes, début avril, Le Phare poussait le leader de l’UDPS, Etienne Tshisekedi, à prendre la parole pour réarmer un peuple « orphelin » et de plus en plus désabusé.
Les événements des 22 et 23 mars étaient évidemment venus rappeler à tout le monde, plus tôt que prévu, que les élections telles qu’organisées en RD Congo n’étaient pas une réponse aux questions de fond soulevées par la crise congolaise. L’armée et son brassage posent toujours problème. Des menaces à la paix persistent à l’Est, où les milices sévissent notamment en Ituri et sous la forme FDLR dans l’ex-Kivu. Enfin, des pans entiers de l’opinion nationale ne se sentent toujours pas concernés par ce qui se passe dans leur propre pays…

Alors que les événements avaient fini pas lui donner raison, Tshisekedi décidait pourtant de s’enfermer dans son mutisme, plus sphinx que jamais. Samedi 07 avril, il prenait même un vol SAA pour l’Afrique du Sud. « En voyage privé », ont repris en chœur membres de famille et proches collaborateurs, dont la plupart n’ont pourtant appris l’information que le jour même.
Depuis, c’est le silence radio le plus assourdissant. Même des diplomates qui n’ont jamais porté l’homme de Limeté dans leurs cœurs se sont agités et ont semblé ne pas s’y retrouver : leur schéma de normalisation politique a volé en éclats, et des ex- belligérants devenus hommes d’Etat par le miracle de la Transition se sont fait la guerre en pleine capitale, après avoir juré qu’ils s’étaient transformés en gentils et doux démocrates.
« Tout ce qui nous arrive a été prévu par le président national de l’UDPS. Mais par cécité, arrogance ou mépris, ses analyses et avertissements n’ont pas été pris au sérieux par ceux à qui ils étaient destinés. Désormais, les parrains du processus n’ont qu’à faire preuve d’honnêteté et tirer toutes les conséquences s’ils veulent sauver ce qui peut encore l’être. Autrement, les mêmes causes produiront toujours les mêmes effets », explique d’un ton sentencieux un cadre de l’UDPS, pour lequel « Tshisekedi a déjà tout dit ».
En d’autres termes, il n’est pas sûr qu’Etienne Tshisekedi se précipite pour embrasser, avant qu’ils n’aient fait leur confession et juré d’être plus à l’écoute du peuple congolais ceux qui, hier encore, ont raillé sa demande d’évaluation et sa proposition de dialogue. « C’est à eux de dire ce qui n’a pas marché dans leur expérimentation. Quant à Tshisekedi, tout ce que nous pouvons lui souhaiter, c’est de profiter au maximum de ses moments de repos en Afrique du sud en attendant que les Congolais apprennent à s’assumer.»
Ex-porte parole de l’UDPS sous Adrien Phongo, actuellement Secrétaire national aux Finances, Joseph Kapika qui a ses entrées sur la « 10ème » sait de quoi il parle. « Le chef n’a aucun contact avec personne. Il prend juste ses vacances et le reste n’est que spéculation », explique-t-il, convaincu « que le moment venu, le président national rentrera au pays pour continuer avec nous la lutte pour l’Etat de droit et la démocratie. Quant au cours des événements, seul Dieu sait… »

Rectification ou remise
en question ?

Le « National » de l’UDPS fait, sans aucun doute, allusion à l’Assemblée nationale où souffle un vent de fronde avec la suspension de la participation aux travaux des députés membres de l’Union pour la Nation. Certes, aucun problème ne se pose sur le plan arithmétique, l’AMP disposant de la majorité requise. Mais de là à confirmer la dérive monolithique, tout porte plutôt à croire que l’AMP s’en gardera. N’empêche, l’opposition parlementaire détient, avec cette fronde qui donne du régime une image très négative, un redoutable moyen de pression, dont on peut penser qu’elle va user au maximum face au pouvoir. Mais aussi et surtout face aux parrains du processus, inquiets du fait que leur schéma ait aussi rapidement volé en éclats, et que plus de 450 millions de dollars aient été investis en vain dans le processus électoral. Enfin des parrains de plus en plus agacés par le gâchis congolais, comme l’indiquent les réticences, de plus en plus nombreuses, au renouvellement du mandat de la Monuc, prorogé juste pour un mois la semaine dernière. La mission de l’ONU en RD Congo serait, en fait, devenue un gouffre financier.
Cahiers des charges sous le bras, les différents groupes parlementaires membres de l’UN ont entrepris, depuis mercredi, de rencontrer les principaux parrains du processus rdcongolais. S’ils insistent ouvertement sur leur sécurité, celle de JP Bemba, le retour rapide au pays de ce dernier ainsi que sur la place et le rôle de l’opposition dans la jeune démocratie congolaise, c’est en réalité l’arbre qui cache la grande forêt de la crise dans notre pays. Ce qu’ils exigent, en fait, c’est une rectification pure et simple d’un processus qui a montré ses limites au point de virer, chaque jour qui passe, vers la dérive. Evidemment, ils seraient mal inspirés de rechercher le face à face avec le pouvoir lorsqu’on sait à quel point il leur a été fatal et combien la corruption fait aujourd’hui des ravages sur la scène politique congolaise.
Pour le reste, l’équation s’annonce difficile pour Joseph Kabila. Le Président de la République a dû en effet sentir son pouvoir vaciller après toutes les condamnations qui ont suivi les affrontements des 22 et 23 mars, la « victoire » des FARDC s’étant rapidement transformée en déroute politique et diplomatique. Autrement dit, Kabila Kabange va devoir faire preuve de flexibilité, d’imagination et de créativité pour stopper la dégringolade de son image dans l’opinion tant nationale qu’internationale. Mais aussi et surtout pour offrir des gages à des parrains de plus en plus fébriles et à des forces politiques de plus en plus critiques.
Question alors : comment opérer cette mutation sans se faire hara-kiri ? Comment réussir cette auto-évaluation sans choquer les faucons et autres boute feux qui n’aiment que le langage de la force.
La même question se pose aux différents parrains du processus, écartelés entre le réaménagement de leur schéma – qui risque de ressembler à une aspirine appliquée à un cancer – et la remise en question totale. En fait, une véritable révolution culturelle, qui exige naturellement courage et honnêteté pour identifier à la fois les véritables causes de l’échec et les vrais acteurs politiques susceptibles d’introduire dans le processus la qualité, le sens de l’Etat, l’attachement au régime des libertés, la stabilité, la sécurité et la bonne gouvernance.

Le troisième larron

Autant dire que la question ne s’inscrit pas seulement dans l’urgence. Il va également falloir identifier clairement les acteurs appelés à requalifier le processus, à lui assurer stabilité et sécurité.
C’est donc avec beaucoup d’intérêt que les commentateurs dans la capitale congolaise ont suivi, mardi, la conférence de presse de l’ancien vice-président de la République et président national du RCD, Azarias Ruberwa Manyiwa. On retient pour l’essentiel de cet exercice que le RCD confirme son ancrage dans l’opposition. Une prise de position qui a malheureusement fait grincer les dents à Kinshasa, à en croire les titres de la presse de mercredi matin.
Les commentateurs kinois ont dans l’ensemble noté qu’il s’agit d’une véritable mutation. Avant de souligner le fait qu’elle intervient, comme par hasard, certes au moment où le régime ploie sous les feux croisés de la critique, mais aussi dans un contexte où l’UN se recherche encore après les affrontements du mois de mars, le départ au Portugal de son leader et la sortie de ses députés de l’Assemblée Nationale. Contexte aussi, le flottement à l’UDPS, dont le président national effectue un déplacement mystérieux en Afrique du Sud, sans que l’on sache quelle position la fille aînée de l’opposition congolaise entend développer par rapport à la crise actuelle et à la cour de plus en plus assidue des partenaires.
La proposition d’Azarias Ruberwa de créer une structure commune de concertation pour les partis politiques d’opposition se situerait ainsi, ont insinué perfidement plus d’un commentateur, dans la volonté du RCD de se repositionner après avoir entendu le vent tourner dans les salons diplomatiques.
Ce que les commentateurs ont voulu en fait dire, c’est que le RCD traîne avec lui un lourd contentieux qui risque de ne pas lui faciliter les rapports avec l’opposition historique et l’opposition parlementaire. Ce que les commentateurs demandent dans la foulée à Azarias Ruberwa, c’est d’expliquer comment, en l’espace de quelques mois, son parti peut passer de la neutralité positive à l’opposition constructive sans soulever une légitime suspicion dans l’opinion pour n’avoir pas clarifié et soldé ses rapports souvent ambigus avec l’Alliance pour la Majorité Présidentielle.
Ce n’est pas tout. On reproche également au RCD de n’avoir jamais eu le courage de conduire jusqu’à son terme sa quête d’évaluation initiée après le massacre de Gatumba en août 2003, de même que son jeu d’équilibrisme entre le pouvoir et l’UDPS depuis la demande, par celle-ci, de la requalification du processus dès avril 2005. Un peu comme si le RCD avait objectivement décidé d’accompagner le PPRD vers sa victoire en entretenant le flou artistique autour de sa propre démarche.
Il s’agit donc là d’un exercice capital, dont l’importance n’échappe pas à la direction politique du RCD, aujourd’hui moins encore qu’hier. Tant et si bien que si ce parti n’arrive pas à clarifier sa position, à évacuer les ambiguïtés et les zones d’ombre qui entourent sa démarche, le rôle de premier plan qu’il souhaite jouer aussi bien dans l’opposition que dans le processus de rectification – ou de remise en cause – qui se prépare serait fort compromis.

 

 

Le Phare

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