L’armée congolaise est rongée par le soupçon de trahison.

Colette Braeckman

27/12/07

 

La conférence de paix sur le Kivu, dont l’ouverture officielle a été reportée au 6 janvier, risquent d’être éclipsés par le malaise qui règne au sein des forces armées congolaises (FARDC) à la suite de l’humiliante défaite subie à Mushake.
Rappelons que depuis début septembre, le président Kabila avait choisi l’option militaire pour réduire la rébellion du général Laurent Nkunda, qui avait pris les armes pour défendre les Tutsis congolais qu’il assurait être menacés. Désireux de rétablir l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire et de mettre en œuvre ses prérogatives constitutionnelles, le président Kabila était alors largement soutenu par son opinion publique, en particulier au Kivu, où il avait été élu à plus de 90% sur sa promesse de rétablir la paix.

Cette initiative militaire était cependant désavouée par les Occidentaux : prônant une solution politique qui aurait répondu en partie aux exigences de Nkunda, ils avançaient les risques sur le plan humanitaire et mettaient en doute la probabilité d’une victoire. En septembre, pour conjurer le président de stopper une offensive qui avait enregistré de premiers succès, les ambassadeurs occidentaux et le représentant de l’ONU William Swing se déplacèrent à Goma. En novembre, les mises en garde se succédèrent et la reprise des hostilités (dont le déclenchement fut attribué à Nkunda lui-même) fut marquée par un impressionnant déploiement militaire congolais, où plus de 20.000 hommes, payés et dotés de matériel neuf encerclèrent les 4000 rebelles de Nkunda.
Cependant, comme pour donner raison aux objurgations diplomatiques, les premiers succès furent rapidement enrayés : d’après des observateurs militaires, l’armée congolaise s’avéra incapable de consolider des positions conquises trop rapidement, elle n’obtint pas le soutien de la MONUC sur lequel elle comptait pour assurer ses arrières(les hélicoptères indiens refusèrent de prendre l’air et de fournir des compléments de munitions), les Casques bleus se contentèrent d’empêcher la chute de Sake et de Goma.
Mais surtout, il se confirme aujourd’hui que les FARDC furent victimes de trahison au plus haut niveau : à Mushake où avait été dépêché le commandant en chef des forces terrestres, le général Gabriel Amisi dit Tango Fort, des ordres contradictoires furent donnés, qui entraînèrent le repli des meilleurs éléments. On devait comprendre plus tard que les commandants de la plupart des brigades censées assiéger Nkunda étaient des officiers qui, comme Amisi, avaient naguère combattu à ses côtés dans les rangs de la rébellion et avaient été brassés ensuite, mais sans réellement rompre avec leur ancien compagnon d’armes !
Une Cour militaire qui vient d’être instituée au Nord Kivu devrait pouvoir circonscrire ces trahisons mais déjà le général Amisi a regagné Kinshasa en état d’arrestation et a été placé en résidence surveillée en attendant le résultat des enquêtes. Un autre officier de haut rang, le général katangais John Numbi, actuellement en charge de la police de Kinshasa, serait « en disgrâce ». Ces mesures suffiront elles à apaiser la grogne au sein de l’armée ? Le bilan des pertes qui commence à être connu, est en effet catastrophique. Sur les 6000 éléments des FARDC engagés dans la bataille de Mushake, la moitié ont été mis hors combat : 2500 militaires ont été tués dont 2000 policiers en tenue militaire et 600 éléments de la garde républicaine. S’y ajoutent 600 blessés pour lesquels une compagnie médicale a été dépêchée d’urgence à Goma. En plus des pertes en vies humaines, un important matériel militaire a été saisi par les hommes de Nkunda, qui leur permettra de guerroyer pendant des années encore : 6 tonnes de munitions, y compris des munitions d’hélicoptères, 45 blindés, 20 lance roquettes, 15.000 caisses de grenades, 6000 caisses d’armes type Fall. Le bilan fait même état de 15 missiles sol air, mais on se demande pourquoi de telles armes auraient été envoyées au Kivu contre un adversaire qui pratique la guerilla et ne dispose ni d’armement lourd ni de moyens aériens…L’ampleur de la débâcle et la saisie par l’adversaire d’un lot important de matériel neuf fait penser à une autre catastrophe militaire qui, en son temps, avait marqué le début de la fin pour Laurent Désiré Kabila, assassiné quelques semaines plus tard : la bataille de Pweto au Katanga, en novembre 2000. Joseph Kabila et le général Numbi avaient alors du fuir en hélicoptère…
Le poison du soupçon ronge actuellement la très fragile armée congolaise dont bon nombre d’officiers sont issus des anciens groupes rebelles, les Katangais et les anciens militaires mobutistes déplorent avoir subi le gros des pertes et sur le front, les désertions sont massives tandis que des remous agitent les camps militaires de Kinshasa…
Si la conférence de paix de Goma a été reportée, c’est peut-être aussi parce que la moindre concession accordée à Nkunda et aux siens alimenterait le soupçon de trahison au plus haut niveau et provoquerait des remous au sein d’une population humiliée par la défaite de son armée et privée des dividendes de la démocratie.

 

lesoir.be

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