Le Congo bradé ?

Dominique Mukenza

12/05/08

 

pierre_lumbi.jpgPierre Lumbi, signataire du contrat chinois, face à sa conscience ce matin au Palais du peuple. Le débat autour des contrats chinois ayant pour soubassement une sorte de troc assis sur les gisements miniers congolais a finalement épousé les contours d’une vive controverse. A la lumière des interventions des députés aussi bien de l’opposition que de la majorité au pouvoir, des millions de compatriotes ressentent le besoin d’être pleinement informés des tenants et aboutissants du sésame trouvé pour le financement des 5 chantiers de la République. Les Congolais veulent savoir si les milliards de dollars annoncés dans le document présenté à l’Assemblée Nationale par le ministre des Infrastructures, Travaux Publics et Reconstruction apporte effectivement au pays un partenariat gagnant-gagnant, selon l’expression à la mode.

Compte tenu de l’expérience malheureuse des « éléphants blancs » de l’ère Mobutu, avec à la clef 15 milliards de dollars de dettes sur un emprunt de départ évalué à 2 milliards Usd, la tendance du grand nombre est à la prudence, sinon à la méfiance.

Face aux espoirs des uns et aux appréhensions des autres au sujet d’un partenariat engageant non pas deux Etats, mais plutôt des privés chinois et le gouvernement congolais, le ministre Pierre Lumbi est impatiemment attendu à la tribune du Palais du peuple et dans des millions de foyers congolais et, pourquoi pas occidentaux, pour un éclairage sans zones d’ombre. Il va avoir en effet la lourde tache de démontrer que la RDC va se doter bientôt de nouvelles routes et lignes de chemins de fer, d’aéroports et barrages pimpant neufs, d’hôpitaux, universités et écoles modernes. Le peuple congolais veut se convaincre que les investisseurs chinois ne viennent pas avec des mallettes vides, comme l’ont soutenu plusieurs députés nationaux, et que leurs milliards de dollars ne vont pas prendre en otage plusieurs générations de filles et fils du Congo. On cherche à savoir si les Chinois ne vont pas vider le sous-sol katangais, comme l’avaient fait les Japonais à l’époque de la Sodimiza.
Le débat national, le vrai, sans détours, doit être engagé sur un dossier qui touche à l’avenir de la nation. Il appartient à Pierre Lumbi de rassurer tout le monde que les intérêts du pays ne sont pas bradés. Au cas où des erreurs auraient été commises dans les négociations de Beijing, qu’il ait le courage et l’honnêteté de les reconnaître, afin de permettre à l’expertise de l’Assemblée nationale d’y apporter les ajustements nécessaires.
Au regard des réserves émises au Palais du Peuple, si le gouvernement ne rencontre pas les préoccupations des députés et opère un passage en force, il aura du ‘mal à gagner l’adhésion populaire dans un partenariat où il en a pourtant grandement besoin.
Conformément à sa demande acceptée par la plénière, c’est ce lundi dans l’avant-midi que le ministre des Infrastructures, Travaux publics et Reconstruction devrait répondre aux préoccupations des députés en rapport avec les contrats chinois dont la signature est intervenue le 22 avril dernier, à Beijing.
Ne pouvant pas relever toutes les questions adressées à Pierre Lumbi par les élus du peuple pour des raisons d’espace, Le Phare vous en propose quielques unes.
1. Quelle est la part réelle de notre pays dans ces contrats ?
2. Qu’est-ce que les partenaires amènent-ils en terme de capital, à part leur carnet d’adresses ?
3. De quelles garanties le pays dispose-t-il au cas où la partie chinoise ne parvenait pas à remplir sa part du contrat ?
4. Comment interpréter la tendance de la partie chinoise à surévaluer les coûts des travaux ?
5. Sachant le principe de droit qui dit qu’en cas de litige, c’est le droit du pays où la convention a été signée qui est d’application, pourquoi le gouvernement a-t-il accepté de signer la convention en dehors du territoire national, alors que tout devra être fait sur le sol congolais ?
6. Pourquoi le gouvernement a-t-il négocié avec des entreprises, au lieu de laisser ce travail à la Gécamines ?
7. Pourquoi le ministre des ITPR a-t-il signé la convention en lieu et place du ministre des Finances et du Budget étant donné qu’il s’agit d’une matière financière et que l’ordonnance organisant le fonctionnement du gouvernement précise justement que seuls les ministres des Finances et du Budget ont ce type de responsabilité aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur ?
8. Le Premier ministre avait annoncé solennement à l’Assemblée nationale qu’une loi votée par le Parlement réglerait le problème de répartition des infrastructures. Comment expliquer les choix qui apparaissent à travers le contrat chinois et qui consacre un déséquilibre intolérable au plan national ?
9. Pourquoi des exonérations ont-elles été accordées aux entreprises chinoises sur une matière qui constitue le socle des finances publiques ?
10. Comment expliquer l’apparition d’un tiers, un certain Kalamba, dans l’actionnariat ?
11. Pourquoi confier des routes en terre battue aux Chinois et que devient l’Office des Routes ?
12. Comment interpréter le choix de construire une route en terre battue pour relier Kananga et Mbuji-Mayi ? N’est-ce pas une injure aux populations de ces contrées?
13. A partir du moment où tous les risques sont supportés par l’Etat congolais, cela ne signe-t-il pas qu’on est en présence d’un endettement dès lors qu’il est stipulé que si la joint-venture ne réalise pas les résultats programmés, il reviendra à l’Etat congolais d’en payer le prix ?
14. Sur quelle base on s’est fondé pour répartir le capital, 68% pour les Chinois et 32% pour les Congolais ?
15. Le gouvernement a-t-il évalué les conséquences de la dette extérieure antérieure, avant de se lancer dans une nouvelle aventure?
16. Le gouvernement a-t-il bien évalué le coût de nos matières premières à exploiter par rapport au montant à débourser par les partenaires estimé à environ 9 milliards de dollars, parce qu’avec 10.000 tonnes de cuivre c’est déjà plus de 80 milliards de dollars ?
17. Pourquoi n’a-t-on retenu que deux pools économiques sur les trois qu’on connaît traditionnellement, soit Kinshasa et Lubumbashi, et que devient Kisangani ?
18. Pourquoi n’y a-t-il pas de contraintes faites à la partie chinoise en cas de non observance ? Et pourquoi seule la RDC a des obligations tandis que la partie chinoise n’a que des droits ?
19. Quels sont les mécanismes de sécurité permettant de s’assurer que les Chinois n’exploiteront que les minerais définis dans la convention ?
20. Pourquoi un dollar chinois rapporte-t-il 170 dollars aux entreprises chinoises en dehors des charges et 50 dollars toutes charges considérées.
En bref, la représentation nationale s’est montrée très intéressée, sinon regardante, sur les termes de référence de la convention que la RDC a conclue avec un groupement d’entreprises chinoises.
Quand bien même les faisant à titre purement informatif, parce que les accords étant déjà signés, les députés nationaux ont démontré leur détermination à connaître la vérité sur ce dossier de peur de voir le pays passer aux mains des maffieux pour reprendre l’expression de la députée Elisé Dimandja ?
A suivre le débat qui est allé jusque tard dans la nuit, on a eu parfois du mal à faire la différence entre les députés de la majorité et ceux de l’opposition. C’est dire que l’enjeu est important car il s’agit de l’avenir de toute la nation. Les choses s’annoncent dures pour ce lundi. Le ministre pourra-t-il convaincre ou laisser les députés sur leur soif ? La réponse sera donnée tout à l’heure à l’hémicycle.

 

Le Phare

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