Mon cousin Karema, le gorille de montagne n’est plus.

Mon cousin Karema, le gorille de montagne n'est plus.

El Memeyi Murangwa

30/01/07

GorillaDifficile de pleurer à haute voix, craignant de faire du bruit pouvant déranger mes voisins. Loin de mon village, plus précisément l’année dernière, un évènement malheureux m’a prédit que quelque chose de malsain était sur le point d’arriver.

De ma ville de refuge au Texas, la télévision annonce le décès de Jabari, gorille de montagne, arrivé très jeune en Amérique, il n’avait plus le regard de son grand-père Marcel Rugabo, bien connu de la défunte Dian Fossey, primatologue de renom et grande protectrice de cette espèce en voie de disparition. Jabari, d’après la presse venait juste d’être tué par un policier au motif qu’il a tenté de ravir quelques bananes à un enfant visitant le Zoo. Jabari a sauté la clôture construite assez haute en vue de le retenir dans son enclos. Hors de celui-ci, il a créé une panique comparable à l’écroulement des tours jumeaux du World Trade Center de New York City. Ambulance en sirène, véhicules de police, camions des sapeurs pompiers accoururent en direction de la réserve zoologique.

N’étant pas encore remis de la persécution que le gouvernement de mon pays m’a infligé, j’ai senti du coup des sueurs froides descendre sur mon front au moment ou je ferme les yeux invoquant Ryangombe, notre Dieu pour que le primate se remette de sa blessure au thorax. Ne parlant pas encore Anglais, j’essai de suivre attentivement les images et me décourage voyant un médecin- vétérinaire retournant le géant baignant dans son sang. La commentatrice de la télévision ne retenant pas ses larmes annonce du coup le décès de Jabari. Cet événement sera pour moi un signe indien. Il allait être suivi dans mon village, d’une persécution sans égale à l’égard de mon ethnie, et des gorilles de montagne, espèce en voie de disparition.

Me voilà dans le premier train en direction du jardin zoologique de Dallas. A peine arrivée sur le lieu, je trouve la scène barricadée par la Police. Dans mon Anglais capable de faire frémir Shakespeare dans sa tombe, j’explique les origines de Jabari au gardien et aux policiers qui m’écoutent avec intérêt. Après vérification du fichier des pensionnaires du zoo, le gardien confirme mes propos et me présente ses sincères condoléances. Ne possédant pas un lopin de terre, je me réserve de demander les restes de Jabari pour l’enterrer comme à Karisoke, véritable cimetière des gorilles n’existant qu’au Kivu, région habité par une population ne consommant pas le singe et les animaux de la faune.

Depuis ce jour, comme jadis au pays, je souffre de la peur d’extermination, me disant souvent que le destin de mon ethnie est étrangement lié à celui de mes cousins gorilles, habitants les hauts plateaux des virunga. En effet en 1994, après le génocide rwandais, les genocidaires s’attaquèrent aux gorilles après l’extermination des éleveurs, vivants de tout temps en parfaite harmonie avec ces grands primates. Mon grand-père n’a t il pas jadis raconté chaque soir autour du feu que les gorilles étaient bien issus de nos ancêtres se trouvant par la mort dans l’au-delà et vivant dans les montagnes de feu que sont les volcans. Contrairement aux autres animaux aimait-il dire, ils ont les mêmes noms de famille que nous et savent enterrer leurs morts dans les caveaux au pied de montagne conformément à une vieille coutume ancestrale. Mukaka, la grand-mère, racontait très souvent qu’une femme faisant les travaux des champs, abrita son bébé dans un coin de fortune, aménageant un toit avec des branches d’arbres, assoiffée, elle alla puiser de l’eau dans un marigot. Le nourrisson pleura et attira mère gorille. Au retour de la maman, celle-ci trouva dame gorille entrain d’allaiter l’enfant. Dès ce jour les gorilles furent traiter en héros et suscitèrent l’admiration de tous, le Mwami informa sa cour que désormais la vie d’un gorille équivaudra à celle d’un homme, protégeant les primates de la chasse clandestine venant des Baryoko, redoutables braconniers habitant la savane.

Pas plus qu’hier, je viens d’apprendre avec amertume, l’assassinat de mon cousin Karema, gorille solitaire qui préféra rester dans mon village abandonné de ses habitants fuyant les affidés de la machette. Mon oncle qui m’informe de la triste nouvelle donne la faute à Karema, qui devait d’après lui se trouver avec les autres petits enfants de Rugabo de l’autre coté de la frontière. Et d’ajouter, le vigoureux gorille au dos argenté, à l’abri de l’épineux problème de nationalité, n’avait même pas besoin d’un laissez-passer pour traverser la frontière.

Qui sauvera donc ce parc créé dans un territoire connu pour sa tradition protectrice de la faune ? A défaut d’une brigade composée des enfants du terroir, le site des Virunga mérite bien un contingent des casques bleu avec mission spécifique qui doit protéger ces animaux vulnérables. Le contraire sera de voir ce patrimoine de l’univers disparaître.

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