RCD : chronique d’une révolution ratée.

Kenge Mukengeshayi

04/08/08

 

rcd_goma.jpgL’homme avait indiscutablement fini par séduire certaines couches de la population, particulièrement celles proches des milieux d’opposition et des intellectuels. Mais à force d’argumenter, d’expliquer sans jamais trancher, les foules ont fini par se méfier d’un discours qui ne proposait aucune voie claire, qu’elle soit celle de l’alignement sur les vainqueurs ou d’un combat sans ambiguïté contre le retour des anti-valeurs.

Voilà le drame du Rassemblement Congolais pour la Démocratie, ancien mouvement rebelle soutenu par le Rwanda devenu parti politique à la faveur de la transition post-Sun City. Voilà le drame d’un leader, Azarias Ruberwa Maniwa, face à la responsabilité de redresser un parti qui n’a jamais totalement manqué d’atouts, mais qui a su dilapider son capital à la suite des maladresses d’un leadership incroyablement flottant. Echec 2 août 1998 – 2 août 2008 voilà dix ans qu’est né le RCD, sur une nouvelle blessure qui se voulait paradoxalement une espérance.

Celle d’une guerre, après celle de 1997, dont l’ambition était de semer la violence en espérant naïvement récolter la démocratie. Les exemples ne sont évidemment pas légion dans l’histoire des peuples et des nations où, à force de semer le rouge, on aurait fini par récolter le bleu. Le RCD n’a pas eu peur de se lancer et de lancer aux Congolais l’incroyable défi. Beaucoup d’entre nous y ont cru, par conviction ou par déception. Le constat, aujourd’hui, est cruel. « Si c’était une simple dissidence de l’Afdl, les errements actuels ne devraient surprendre personne, le fils héritant toujours du père. De même, si c’était un parti révolutionnaire, son effacement actuel ne ferait que confirmer davantage le déficit d’une vision pour le pays et stigmatiser la stratégie de l’échec inscrite dès le départ dans ses gènes », commente un analyste. Le grand tort du RCD aura été de parier sur la force militaire, non pas pour imposer un nouvel ordre radicalement différent, qui lui eut donné un rôle de choix sur l’échiquier politique, mais plutôt pour négocier juste sa part du festin d’où il avait été injustement éjecté, de son point de vue, quelques semaines auparavant. Voilà pourquoi et comment le RCD n’a jamais eu les ressources morales nécessaires pour renoncer à la prime à la belligérance qui semblait être son principal atout, suscitant à la fois le doute parmi ses alliés de l’opposition politique et mettant progressivement en place les conditions d’un divorce désormais inévitable au sein de l’Alliance pour la Sauvegarde du Dialogue Intercongolais. Quelques mots suffiront pour donner une idée exacte de l’état d’effondrement historique qui frappe désormais le RCD comme un péché mortel. Il y a eu évidemment cet échec retentissant à la présidentielle, démontrant jusqu’à l’ironie que le RCD n’occupait qu’une place marginale sur le marché politique congolais. Les législatives n’ont guère davantage souri à l’ex-rébellion qui n’a pu engranger qu’une quinzaine de députés et sept sénateurs. Enfin, les passes d’armes, les reniements, les alliances, parfois « contre nature », qui ont ponctué certaines élections de gouverneurs ont apporté la preuve, au mieux que le RCD n’avait pas d’existence autonome et se cantonnait désormais dans un rôle de supplétif, au pire que beaucoup de ses membres avaient, pour leur propre confort, leur cœur ailleurs qu’au sein de leur propre parti. Contradiction fondamentale Les jours qui avaient suivi le 2 août 1998, le RCD avait inauguré sa marche de conquête du pouvoir par un raid audacieux sur le Bas-Congo, dont la facture en termes d’infrastructures et de vies humaines fauchées, directement ou collatéralement dans le Bas-Congo et à Kinshasa, n’a jamais été comptabilisée. L’échec dans les faubourgs Est de la capitale tout comme le retrait des forces grâce à un couloir négocié avec les Angolais avait sonné le glas d’une audacieuse ambition pour imposer le long feuilleton de la négociation entre d’un côté ce qui n’était plus qu’une rébellion et, de l’autre, un pouvoir qui tenait encore et toujours la capitale ainsi que les principales provinces du pays. Certes, les excès de l’Afdl avaient terni l’auréole de la libération du 17 mai pour imposer aux Congolais une pâle copie de la République des Khmers Rouges. Certes, l’amateurisme des résidus de ceux que Mzee lui-même n’avait pas hésité à qualifier de conglomérat d’aventuriers, avait imposé l’urgence d’une correction vigoureuse, mais encore fallait-il que le RCD échappât à la terrible loi de l’hérédité qui veut que les enfants héritent des tares de leurs parents. L’ex-rébellion n’en a pas eu la volonté, en sollicitant et en bénéficiant des mêmes alliances que l’Afdl, celles-là mêmes qui avaient tant irrité les Congolais au point que certains leaders de l’Opposition politique – Etienne Tshisekedi notamment – n’avaient pas hésité de réclamer une facture en bonne et due forme. Il était par conséquent évident qu’un jour ou l’autre, le péché finirait par rattraper son auteur. Dans le même ordre d’idées, le RCD n’a jamais su développer un discours et des comportements politiques susceptibles de lui épargner l’accusation – à tort ou à raison – qu’il n’était que l’instrument politique de la cause des populations rwandophones de l’Est de la RDC, exacerbant du coup les antagonismes locaux, certes largement instrumentalisés par certains leaders politiques de cette partie de la République qui s’en servaient à la fois comme repoussoir et comme levier d’un nationalisme de façade. Voilà donc comment le RCD, en dépit de la qualité incontestable de certains de ses leaders, n’a jamais su maintenir la magie et l’illusion au-delà du Dialogue intercongolais. Voilà comment l’ex-rébellion n’a jamais su évacuer cette image qui le confinait tragiquement aux territoires rwandophones de l’Est de la RDC, le privant, du coup, de cette visibilité nationale qui aurait pu lui permettre de faire la différence lors des consultations électorales. Voilà comment l’embarras à prendre en considération les revendications de l’Udps au sortir de l’Accord Global et à l’occasion du processus électoral l’ont empêché de puiser, ne serait-ce que par simple reconnaissance, dans l’immense vivier dont certains éléments, soudain orphelins, avaient plutôt choisi de se rapprocher de la plate-forme de Jean Pierre Bemba Gombo. L’ultime preuve Cette contradiction fondamentale a éclaté en août 2004 lorsque, face au massacre de Gatumba dans la nuit du 13 au 14 août, la suspension de la participation du RCD aux institutions comme sa demande d’une urgente évaluation n’ont jamais dépassé le stade de l’incantation face au rouleau compresseur diplomatique déployé à l’époque par Thabo Mbeki. A la même période, Etienne Tshisekedi, chez nous, avait su décliner l’invitation du leader azanien, tandis qu’en Côte d’Ivoire, Guillaume Soro puisait dans ses ressources morales pour désavouer la médiation sud-africaine et solliciter de nouvelles règles de jeu, ce qu’il a fini par obtenir, sans doute parce que ses soutiens ne le posaient pas dans le sens contraire à l’agenda des Forces Nouvelles. Azarias Ruberwa manquait ainsi une nouvelle occasion de s’imposer comme élément central d’une transition dont l’objectif visible était désormais de légitimer le pouvoir de Kinshasa sans qu’il put exister le moindre contrepoids. Le leader du RCD était d’autant mal parti qu’une fracture voyait le jour dans les rangs de son parti entre le groupe dit de Goma et celui de Kinshasa. Le premier avait vu le jour à l’occasion de la fronde organisée autour de l’ancien 2me vice-président Raphaël Katebe Katoto, dont le mémo dévastateur de juin – juillet 2003 avait pris les allures de brûlot, tandis que le deuxième réunissait ceux des membres qui avaient refusé de s’associer au mot d’ordre de boycott des institutions après le massacre de Gatumba. Au mieux, le RCD ne pouvait que flotter entre deux courants qu’il était loin de maîtriser, jusqu’à cette veille du deuxième tour de la présidentielle qui a vu le parti de Ruberwa faire la médiation d’une élection qu’il venait lui-même de contester ! Besoin de se consoler de la méchanceté d’un système qu’il avait eu le tort d’accompagner jusqu’à ce qu’il l’ait enterré ? Besoin de rattraper le train du vainqueur prévisible et de se rappeler à ses bons souvenirs ? On ne le saura sans doute jamais, sauf à regretter, encore et toujours, cette tendance morbide du RCD à ne pas savoir se définir une doctrine claire et à la défendre dans l’intérêt de tous. Un pari difficile Partagé entre les Etats-Unis où vit sa famille et Kinshasa où l’emblème de son parti est de moins en moins visible, Azarias Ruberwa fait désormais face à des choix difficiles. Le premier est évidemment de savoir s’il est encore l’homme de la situation. Homme de débat, argumentateur de talent, est-il pour autant le meneur d’hommes dont le RCD a tant besoin pour ressusciter ? Est-il celui qui permettra à son parti d’évacuer de son parcours toutes les tares qui se sont, avec le temps, transformées en goulots d’étranglement ? Est-il celui qui effacera ce fantôme du Rwanda qui continue de planer sur son parti ? Est-il celui qui effacera l’image d’un parti uniquement tourné vers la défense de la cause des populations rwandophones pour le transformer en mouvement national au profit de tous les Congolais ? Est-il ce joueur qui, après avoir occasionné un but contre son propre camp, a les ressources morales et psychologiques indispensables pour tirer le penalty qui décidera de la victoire ? Le drame se situe là. Le seul mouvement, parmi les belligérants, qui jouissait, tout au long du Dialogue intercongolais, d’un préjugé favorable au sein de la population, a réussi l’incroyable exploit de s’en aliéner les faveurs, au point d’être privé du deuxième tour de la présidentielle, de ne disposer que de 15 députés et 7 sénateurs, enfin d’être obligé, depuis, de courir derrière un horizon de plus en plus insaisissable. Bref, c’est dire combien le temps est à l’urgence, c’est dire combien de défis attendent le Rassemblement Congolais pour la Démocratie, face à des choix qui ne lui ont jamais apporté le bonheur escompté et à un avenir de plus en plus incertain : 1. Couper définitivement le cordon avec le Rwanda et réunir les moyens d’une véritable autonomie ; 2. Se donner une dimension réellement nationale en refusant de s’enfermer dans le ghetto rwandophone ; 3.Développer un discours sans ambiguïté sur le fonctionnement des institutions de la IIIme République, assorti de propositions claires ; 4. S’interroger avec courage sur les conditions objectives d’une alliance réellement porteuse pour l’avenir face au déficit actuel d’implantation du parti sur l’ensemble du territoire national.

 

 

Le Phare

 

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