RDC: Finances publiques et décentralisation : le torchon brûle entre Kinshasa et les provinces.

Jacques Kimpozo Mayala

24/04/07

Jeudi dernier à Goma, le ministre de l'Intérieur, Denis Kalume Numbi, a essuyé de sévères critiques de la part des membres de l'Assemblée provinciales du Nord-Kivu, alors qu'il y séjournait en mission de collecte de données à caractère sécuritaire. Cette levée de boucliers était en fait l'expression du sentiment général d'indignation que l'on rencontre aux quatre coins de la République depuis que l'intéressé a pris la malheureuse initiative de réunir les gouverneurs des onze provinces du pays à Kinshasa, pour élaborer, avec leur concours, les budgets de leurs entités à intégrer dans le projet de budget gouvernemental 2007.
A Kinshasa, à Matadi, à Bandundu, à Mbandaka, à Kananga, à Lubumbashi, à Kisangani, Kindu, à Bukavu comme à Goma, on ne décolère plus au regard d'une démarche qui a tout l'air de mettre une croix sur la large autonomie de gestion politique, financière, sociale et culturelle que la Constitution de la 3me République accorde aux exécutifs et parlements provinciaux par rapport au pouvoir central. L'appel au calme et à la patience lancé par le ministre de l'Intérieur a été accueilli comme de la provocation délibérée.

Forum National sur la Décentralisation sans objet

Les députés provinciaux trouvent sans objet le projet d'organisation d'un " Forum National sur la Décentralisation ", tel que préconisé par le ministre de l'Intérieur. De leur point de vue, cette matière a déjà été réglée par le législateur. On en veut pour preuve le panel d'articles de la Constitution touchant aux finances publiques. Les férus du droit citent au hasard l'article 3 qui stipule que " les provinces et les entités territoriales décentralisées de la RDC sont dotées de la personnalité juridique et sont gérées par les organes locaux " ou encore l'article 171 qui dispose que " les finances du pouvoir central et celles des provinces sont distinctes ". Quant à l'article 204, il renseigne que " sans préjudices des autres dispositions de la présente Constitution, les finances publiques des provinces sont de la compétence exclusive des provinces ".

Retour au statu quo ante

Des millions de Congolais sont allés aux urnes l'année dernière pour, notamment, choisir des élus de proximité, ceux-là qui perçoivent le mieux les causes de leur sous-développement et qui, à priori, sont mieux placés pour y apporter des réponses urgentes. Entre autres facteurs responsables des retards de développement qu'accusent les entités administratives du Congo profond, l'on a souvent déploré, dans le passé, la main-mise du pouvoir central sur leurs sources de recettes.
Le législateur de la 3me République a cru bien faire en décidant le prélèvement à la source, par les provinces, des 40 % des recettes internes qu'elles génèrent, laissant 60 % au gouvernement central. C'est du reste dans cette perspective de l'auto-prise en charge de leur développement que la majorité des gouverneurs ont battu campagne devant leurs électeurs qu'étaient les députés provinciaux. C'est dans la même optique qu'après leur élection et investiture, ils apprêtent des programmes de "gouvernement" à défendre devant les parlementaires provinciaux.
L'on se demande dès lors de quoi pourraient discuter, dans les jours à venir, gouverneurs et députés provinciaux, dès lors que Denis Kalume aura vidé de toute sa substance tout débat sur les finances publiques provinciales, dans le cadre de leurs budgets 2007. L'on s'achemine, visiblement, vers le retour au statu quo ante. Concrètement, après que le ministre de l'Intérieur et les gouverneurs de provinces auront bouclé, à leur manière, les différentes prévisions des recettes et des dépenses au niveau de chaque province, il ne resterait plus aux députés provinciaux qu'à assister, impuissants, à l'exécution de différents formats qu'aura retenus le pouvoir central pour discussion et adoption à l'échelon du Parlement National.
Denis Kalume est en train de planter en fait le décor de la dictature de Kinshasa sur les provinces.
Telle qu'il a démarré la territoriale de la 3me République, on risque de revivre pendant longtemps encore le spectre de routes défoncées, d'écoles sans bancs, de bâtiments administratifs sans toiture, de cadavres de fonctionnaires abandonnés dans les morgues, d'hôpitaux sans médicaments, dans l'arrière-pays simplement parce que le centre d'ordonnancement des dépenses se trouve à Kinshasa. Tout le monde connaît les blocages qui entourent les opérations de rétrocession des recettes dues aux administrations provinciales et leur cohorte de magouille à travers commissions, ponctions, détournements, etc. C'est tout cela que redoutaient les populations provinciales et c'est malheureusement dans cette voie que risque de les précipiter le ministre de l'Intérieur.

Découpage territorial dans 3 ans mais…

Il est vrai que le découpage territorial n'intervient, au mieux, que dans trois ans. Aux yeux de certains, les provinces ne devraient prétendre à leur autonomie totale qu'après le vote, au Parlement national, de la loi sur la Décentralisation mais surtout après cette opération " chirurgicale " devant éclater la RDC en 26 provinces. Le ministre de l'Intérieur s'est apparemment placé dans le camp de ceux qui pensent qu'en attendant les deux ajustements juridiques sus indiqués, les choses devraient rester en l'état.
Si telle est son analyse, il aurait été plus pratique de mettre les parlements provinciaux en congé forcé, question d'adapter l'environnement politique aux réalités administratives. Or, les parlementaires provinciaux sont là et les ministres provinciaux sont en train de se mettre en place. Logiquement, Kinshasa devrait se faire violence et les laisser s'autogérer. Sinon, on va assister au fonctionnement des coquilles vides ou de simples caisses d'enregistrement du diktat du pouvoir central en provinces, aux plans législatifs comme exécutifs. Au lieu d'aller de l'avant, les entités décentralisées vont poursuivre leur marche en arrière, tel qu'on continue de le vivre, cinq mois après l'investiture d'un Chef de l'Etat élu et l'entrée supposée du pays dans l'ère de la bonne gouvernance et de la démocratie.

 

 

Le Phare

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