RWANDA: LE GENOCIDE COMME VIOLATION EXTREME DES DROITS DE L’HOMME

Leader Africa

01/02/2007

INTRODUCTION GENERALE:

Le Rwanda est l’un des pays qui composent la Communauté Internationale qui, d’habitude était rarement à la une de la presse internationale. Depuis 1994, quand il est évoqué par des étrangers, c’est, généralement, pour faire référence à la tragédie qui l’a touché à partir d’avril – juillet 1994. Cette tragédie c’est le génocide qui, en seulement trois mois, a emporté plus d’un million de personnes et, par la suite, occasionné des conséquences variées et incommensurables, au Rwanda et même dans la région de l’Afrique des grands lacs .

Le crime de génocide est considéré, à juste titre, comme le crime des crimes puisqu’il est, finalement, commis contre l’humanité-même. Le génocide constitue donc la violation la plus grave des droits de l’homme, car en fauchant arbitrairement et injustement la vie des hommes, on n’épargne, ainsi, plus rien du reste de leurs droits. Le droit à la vie est la base et le fondement de tous les autres droits de l’homme. Si quelqu’un n’est plus, il ne peut plus jouir d’aucun autre droit dont, normalement, devrait pleinement jouir tout homme, durant toute sa vie.
Les non avertis pourraient, peut-être, penser que le génocide qui a été perpétré au Rwanda en 1994 est purement et exclusivement rwandais ou qu’il s’est basé sur un antagonisme ‘‘ethnique’’ ou ‘‘tribale’’ entre Hutu et Tutsi ( souvent l’on n’ évoque même pas les Twa !), comme l’affirment certains, trop facilement et trop simplement.
Toutes ces affirmations, et autres du genre, sont réellement sans fondement puisque, à notre avis, le génocide de 1994 est complexe et il a impliqué non seulement des Rwandais, mais aussi, directement ou indirectement, des étrangers.
Par ailleurs il faut bien noter que le Rwanda, qui existe comme nation depuis plusieurs siècles avec toutes ses composantes en terme de population, n’avait jamais connu une tragédie du genre, basée sur une division ‘‘ethnique’’ quelconque. Plusieurs observateurs et connaisseurs objectifs de la réalité rwandaise voient dans la présence étrangère, surtout pendant la période coloniale, particulièrement du temps des Belges, et ses divers bouleversements, la source, si pas unique, mais certainement déterminante, des malheurs du Rwanda.

I . INFORMATIONS PRELIMINAIRES SUR LE PAYS DU RWANDA
1. Situation géographique

Le Rwanda est un pays relativement peu étendu, avec une superficie de 26.338 km². Il est, généralement, situé en Afrique centrale, un peu au sud de l’équateur et fait partie des Etats de la Région des Grands Lacs d’Afrique. Cependant, il faut noter que depuis peu, le Rwanda (et le Burundi d’ailleurs) a été admis dans la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est (East African Community : Kenya, Tanzanie, Uganda).
Le Rwanda a comme voisins l’Uganda au Nord, le Burundi au Sud, la Tanzanie à l’Est et la République Démocratique du Congo, ex-Zaïre, à l’Ouest.
2. Aperçu historique
D’après Bernardin MUZUNGU, « le Rwanda comme nation indépendante et souveraine commence avec le règne de Ruganzu I Bwimba .
C’est à ce moment-là qu’il prend le nom de ‘‘Rwanda rugari rwa Gasabo’’ = ‘‘ le Rwanda dont le chef-lieu est à Gasabo’’. C’est à partir de ce lieu et de ce moment que commence l’histoire du Royaume rwandais précolonial. Celui-ci n’est pas tombé du ciel. Il existait déjà comme partie prenante d’une confédération de royaumes claniques… » .
Officiellement, les premiers Européens arrivent au Rwanda en 1894 et ce sont des Allemands. Avec ceux-ci vient aussi un grand nombre d’explorateurs, de missionnaires et d’hommes de sciences variées, soucieux de mener des études sur le pays et sur les populations nouvellement découverts.
Ainsi, c’est vers la fin du 19è siècle que le Rwanda passe sous la colonisation allemande et ensuite sous la tutelle belge, à la fin de la première guerre mondiale. Cette colonisation, prise dans son sens le plus large, aura des conséquences néfastes sur l’identité du peuple rwandais, sur son unité et son harmonie, ainsi que sur sa cohésion sociale.
En effet, déjà quelques années avant l’indépendance officielle du Rwanda( 01.07.1962) et sous l’impulsion et l’encadrement serré des colonisateurs belges, des Rwandais, ayant bien assimilé la leçon divisionniste, avaient fondé des partis politiques dont certains , comme le MDR-Parmehutu (Mouvement Démocratique Républicain- Parmehutu), étaient très visiblement ségrégationnistes. Ainsi la division du peuple rwandais fut politiquement consacrée, avec des conséquences prévisibles gravissimes. De fait, depuis la dite ‘‘ révolution sociale de 1959’’, des Tutsi commencent à subir des persécutions et des tueries massives organisées par le pouvoir alors en place. Les premiers groupes de réfugiés « politiques » rwandais, sans aucune possibilité de retour dans leur pays, datent de ces années 1959.
Après la proclamation officielle de l’indépendance du Rwanda, le premier juillet 1962, la première(1962-1973) et la deuxième(1973-1994) républiques rwandaises perpétuent l’héritage du colonialisme. Au lieu de restaurer l’identité et la cohésion de la nation mises en lambeaux par la colonisation, les ‘‘seigneurs’’ de ces deux républiques, qui se sont d’ailleurs succédés par coup d’Etat, avec des massacres politiques et augmentation du nombre de réfugiés externes, n’ont fait qu’exacerber la situation. De cet état de choses, en peu de mots, l’on peut saisir le background de la guerre de libération entamée le 1er Octobre 1990 .
Au lieu de chercher résolument des solutions adéquates aux problèmes réels du pays, le gouvernement d’alors( dirigé par Juvénal Habyarimana comme président de la République) se mit à préparer, et finalement, à perpétrer un génocide contre une composante de la population rwandaise, à savoir les Tutsi . Cette catastrophe de 1994 n’a visiblement pas été un acte spontané, comme veulent l’insinuer, aujourd’hui, certains négationnistes et révisionnistes, car cette tragédie de 1994 « se trouve déjà en gestation dans l’idéologie d’hier » .

3. La population

Selon les estimations les plus récentes, le Rwanda compte plus ou moins Huit millions d’habitants . La population rwandaise, en majorité relativement pauvre, vit traditionnellement à la campagne ; l’agriculture et l’élevage assurent sa subsistance et constituent, en général, sa principale source de revenus, relativement maigres.
Toujours, d’après les données du dernier recensement général de la population rwandaise, les jeunes de moins de 25 ans représentent, plus ou moins 68% de la totalité de la population.
La langue nationale du Rwanda, c’est le Kinyarwanda et elle est pratiquée par toute la population, alors que les langues officielles sont, actuellement, outre le kinyarwanda, le français et l’anglais.
Contrairement à ce qui a fait généralement la une de l’actualité sur le Rwanda, depuis un certain temps, à savoir l’antagonisme entre Hutu et Tutsi, en oubliant souvent les Twa, toute analyse objective arrive à la conclusion selon laquelle ces trois composantes ne constituent pas trois ethnies diverses . Elles seraient plutôt des catégories ou des groupes sociaux et non des ethnies au sens rigoureux et scientifique de ce terme.
A la rigueur, il n’y aurait qu’une seule et unique ethnie au Rwanda car les Hutu, les Tutsi et les Twa parlent la même langue, le Kinyarwanda , ont les mêmes coutumes, notamment se marient de la même manière, assez souvent entre membres de deux groupes dits « ethniques », ont la même foi ancestrale en un Dieu unique Imana, ont évolué vers les mêmes religions apportées par la colonisation, et vivent ensemble sur tout le territoire du Rwanda.
Pour le Rwanda, (et le Burundi sans doute) , les colonisateurs et les missionnaires catholiques ont été les premiers à employer et à propager le terme ethnie pour désigner Hutu, Tutsi et Twa. Si l’on peut définir l’ethnie comme un groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène et dont l’unité repose sur une communauté de langue et de culture, alors l’on est surpris de constater qu’aucun trait caractéristique de cette définition n’est adéquat dans le cas qui nous intéresse, à savoir celui du Rwanda . Pire encore, certains vont plus loin jusqu’au point d’ arriver à parler de races différentes composant la population rwandaise en se basant sur quelques différences morpho-typiques.
En désignant les Rwandais comme trois peuples différents par le simple fait de projeter sur eux, par des analogies simplificatrices, la réalité des schémas occidentaux, les colonisateurs ont fait croire à certains Rwandais qu’ils( Rwandais) étaient réellement différents.
Le pouvoir colonial au Rwanda, particulièrement l’administration belge, depuis 1916 jusqu’en 1962, contribuera remarquablement à ce clivage ethnico-racial en instituant, à partir des critères ‘‘fantaisistes’’, un système de classification ethnique rigide avec l’attribution de la carte d’identité( dans les années 1930), obligatoire pour toute personne majeure, distinguant l’appartenance ‘‘ethnique’’. Même en cas de mariages mixtes, toujours très fréquents au Rwanda, surtout entre Hutu et Tutsi, le système patrilinéaire, en vigueur dans la société rwandaise, imposait aux enfants issus de ces mariages d’être classés automatiquement et inamoviblement du côte du père .
Ainsi, en peu de mots, commencèrent les divisions de la population rwandaise qui auront, plus tard, les conséquences les plus tragiques sur toute la société rwandaise.

II : GENOCIDE AU RWANDA, NEGATION ET SUPPRESSION DE LA VIE DES
PERSONNES CIBLES ET VICTIMES

Le génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994 et qui a causé la mort de plus d’un million de personnes en trois mois (Avril-Juillet 1994) a été un crime bien préparé et mis en exécution sous une stricte supervision des autorités avec le concours des diverses institutions du pays. Les bourreaux ont été préparés, psychologiquement, idéologiquement et même militairement, alors que les victimes avaient été injustement diabolisés et rendus coupables de tous les maux qui puissent exister.
1. Définition et historique du génocide
Un génocide est l’extermination, physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ethnique, national, religieux ou racial. C’est un cas extrême de crime contre l’humanité.
Cette définition du génocide est celle présentée dans l’article 6 du statut de Rome, qui est l’acte fondateur de la Cour Pénale Internationale (C.P.I). A cette définition s’ajoute une autre, plus large et plus proche de son étymologie, utilisée par les historiens. Dans cette définition, un génocide est la volonté d’exterminer la totalité d’un groupe d’individus, sans préciser ce qu’est ce groupe. Celle-ci, largement adoptée par les médias et le public, voit ainsi, par exemple, des massacres de masses comme ceux perpétrés durant la Révolution cambodgienne du temps des Khmers Rouges, être qualifiés de génocide par la quasi-totalité des historiens.
Selon la Convention du 9 Décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide (article II), le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a)Meurtre de membres du groupe ;
b)Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe ;
c)Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant
entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d)Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e)Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Etymologiquement, le terme génocide est un néologisme formé à partir du
grec genos (naissance, genre, espèce) et du terme latin caedere (tuer).
Stricto sensu, la notion de race est dans l’espèce humaine une notion plutôt sociologique que génétique. Toutefois, fondée, ou non, elle a existé dans l’esprit des génocidaires. Leur crime est bien articulé autour de la notion d’une différenciation, d’une nature ou d’une autre, d’une population considérée par eux comme « indésirable » et de l’appartenance par la naissance à la population des personnes visées (à la différence des guerres idéologiques où les personnes n'étaient visées que comme vecteurs supposés de leurs idées).
Historiquement, le terme est apparu pour la première fois dans un document officiel en octobre 1945 : l'acte d'accusation du Tribunal militaire international de Nuremberg. Il a été créé par le juriste américain d'origine polonaise Raphaël Lemkin en 1944, pour tenter de définir les crimes perpétrés par les nazis à l'encontre des peuples juif et tsigane durant la Seconde Guerre mondiale. Il témoigne d'une double volonté de la part de la communauté internationale :
. celle de punir un crime jusque-là inconnu dans le vocabulaire juridique pénal ;
. celle de qualifier la destruction systématique du peuple juif par l'État hitlérien
allemand.
2. Responsabilité de l’Etat rwandais dans le génocide
L’état rwandais, à travers ses agents et à divers niveaux, a préparé, de façon médiate et immédiate, le génocide de 1994 et supervisé sa mise en exécution.
a. Idéologie et massacres

Le génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994 a été une action funeste qui n’était pas spontanée, mais une entreprise macabre qui a nécessité une certaine préparation, médiate et immédiate, pendant un certain temps . En réalité, nous pouvons dire que la préparation, plus ou moins lointaine, du génocide de 1994, qui a été confirmé par la Communauté Internationale , a commencé dans les années de la dite ‘‘Révolution Sociale’’ de 1959. En effet c’est à ce moment là que des Hutu, par ailleurs bien encadrés par certains colonisateurs, ont commencé à tuer des Tutsi et à contraindre d’autres à l’exil hors du Rwanda.
Pendant la Première(1962-1973) et la Deuxième République(1973-1994) du Rwanda officiellement indépendant, d’autres massacres ou pogroms contre les Tutsi vont se répéter de façon plus ou moins récurrente jusque, finalement et malheureusement, au génocide de 1994. L’idéologie génocidaire contre les Tutsi a été érigée et régulièrement entretenue, de diverses manières, par des régimes qui se sont succédés au pouvoir, de 1962 à 1994. Les systèmes politiques qui les ont guidés, ainsi que les types de droits qu’ils ont mis au-dessus d’autres, reflètent ainsi les fondements moraux des sociétés qu’ils animaient .
Le génocide au Rwanda en 1994, comme tous les génocides d’ailleurs, est un phénomène complexe, résultant d’une combinaison de forces structurelles persistantes ainsi que des décisions plus immédiates prises par de puissants acteurs. Il est évident qu’aucune des divers facteurs, que ce soit, par exemple, la pauvreté, l’étroitesse des terres arables disponibles, une population classée, arbitrairement au départ, dans des groupes très inégaux du point de vue du nombre, une histoire triste de régime colonial belge et de l’évangélisation, une lecture erronée et falsifiée de l’histoire, n’a causé à lui seul le génocide. Mais toutes ces circonstances, et bien d’autres, même plus déterminants, conjuguées ont façonné le contexte dans lequel les Rwandais ont pris des décisions aux conséquences néfastes incalculables pour la société rwandaise .
De toutes les façons, vu ce qui s’était déjà passé au cours des années antérieures, du temps de l’ère républicaine, l’on peut affirmer que la machine à tuer était déjà rôdée et personne parmi les bourreaux n’avait été inquiété. Signe évident que c’était des actions lugubres voulues et encouragées par les dirigeants du pays alors en place.

b. Politique d’exclusion

Depuis 1959, des vagues de Rwandais ont été forcées à fuir le pays. Non seulement ces gens sont partis lors des massacres qui ont accompagné la ‘‘Révolution Sociale de 1959’’ qui, dans le sang, a mis fin au régime monarchique, mais aussi au cours des années qui ont suivi, chaque fois qu’il y avait des problèmes sérieux dans le pays et que les dirigeants hutu cherchaient des boucs émissaires parmi les Tutsi qui étaient devenus comme des sacrifices expiatoires.
Alors que certains des Tutsi qui se sentaient le plus menacés ou qui échappaient aux massacres prenaient le chemin de l’exil, ceux qui réussissaient à rester dans le pays, en changeant parfois le lieu d’habitation, car jusque là les massacres n’étaient pas encore généralisés dans tout le pays, étaient régulièrement soumis à plusieurs et diverses violations de leurs droits. L’on peut relever, par exemple, pour ne citer que les plus saillants, le droit à l’instruction, au travail, à la libre circulation et j’en passe.
Bref, la discrimination était officieusement légalisée. Le port obligatoire des cartes d’identité avec mention ‘‘ethnique’’ en est un témoignage qui se passe de commentaires. L’on sait combien ces cartes d’identité officialisant ‘‘l’apartheid’’ au Rwanda ont facilité l’exécution du génocide en permettant d’identifier les Tutsi, cibles à abattre systématiquement et atrocement.
3. Responsabilité de la Communauté Internationale
Le génocide au Rwanda en 1994 fut le génocide le plus expéditif de l’histoire (souhaitons qu’il n’y ait plus d’autres, au Rwanda et dans le monde entier). L’on compte plus ou moins un million de personnes , presque exclusivement tutsi, sauvagement massacrées du 7 avril au 4 juillet 1994. Ceux parmi les Hutu qui ont été tués sont ceux qui se sont montrés solidaires des Tutsi ou encore des Hutu considérés comme des traîtres à la cause hutu.
Alors que la Communauté Internationale était bien avertie de la réalité et de la gravité de la tragédie qui risquait de se produire au Rwanda , pourtant, dès le début du génocide, au lieu de chercher à défendre les personnes en danger, les puissances étrangères qui avaient des membres au Rwanda se sont empressées d’évacuer leurs ressortissants sans se soucier de la moindre façon des personnes qui étaient entrain d’être massacrées. Pire encore la Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda (MINUAR) qui était au Rwanda, suite aux accords de paix d’Arusha (Tanzanie) du 4 août 1993 entre le Gouvernement du Rwanda et le Front Patriotique Rwandais (FPR), a abandonné des gens dans les mains des tueurs.
Il faut bien se rappeler que, toujours pour bien souligner et se rendre compte de la gravité de la responsabilité de la Communauté Internationale dans la tragédie rwandaise, quinze jours après le début du génocide, l'ONU( Organisation des Nations Unies), très inquiète du fait de l'assassinat de dix casques bleues belges, réduit fortement les effectifs de la MINUAR. Sous l'influence déterminante de certaines puissances mondiales qui ne voulaient absolument pas être interpellées par l'opinion internationale et devoir intervenir (le fiasco somalien est encore récent), l'ONU tarde à qualifier de « génocide » les massacres qui se déroulaient au Rwanda. Mais à partir de mai 1994, devant la gravité de la situation, elle met sur pied la MINUAR 2 qui se révèle, encore une fois, dans l'impossibilité d'intervenir immédiatement.
Par contre la même Organisation des Nations Unies (ONU) qui n’arrivait pas à secourir des Rwandais en danger d’extermination permit , le 22 juin 1994, à la France qui, pourtant, avait aidé le Gouvernement rwandais génocidaire à combattre le Front Patriotique Rwandais, avec toutes les violations massives des droits de l’homme qui sévissaient au Rwanda dès le déclenchement des hostilités militaires, à organiser l’ ‘‘Opération Turquoise’’ (résolution 929 des Nations Unies) qui, en réalité, était plutôt militaire qu’humanitaire. En effet, l’on peut se poser des questions sur les vraies motivations de cette opération alors que le génocide était presque totalement consommé et que le Front Patriotique Rwandais (FPR) était en passe de l’emporter militairement, et significativement, sur les Forces Armées Rwandaises (FAR) !
Il faut, enfin, se rappeler que la France a été autorisée par les Nations Unies à créer, le 4 juillet 1994, la dite ‘‘Zone Humanitaire Sûre’’ (ZHS) dans le Sud-Ouest du Rwanda et l’on sait que cette zone a facilité et encouragé les génocidaires à se replier vers le Zaïre (actuel République Démocratique du Congo) avec l’espoir de se réorganiser le plus vite possible, en comptant sur une aide multiforme discrète de certains pays et organisations internationales, et retourner au Rwanda pour achever leur sale besogne et reprendre les rênes du pouvoir. L’on ignore pas le chaos généralisé qui s’est produit par après, avec des conséquences pour toute la Région des Grands Lacs d’Afrique. Si l’on affirme que la Communauté Internationale a une certaine responsabilité dans toutes ces catastrophes, ça ne serait pas faux ni forcer l’analyse.

III : LE DROIT À LA JUSTICE ET À LA REPARATION

Le 20ème siècle n'aura pas seulement été un siècle de conflits mais aussi un siècle rongé par des crimes perpétrés à grande échelle contre des populations civiles : massacre des Arméniens, horreur systématisée de la Shoah, exterminations massives au Cambodge, purification ethnique en ex-Yougoslavie, génocide au Rwanda en 1994 et j’en passe.
Le vocabulaire des sociétés contemporaines en témoigne : des expressions et des termes nouveaux – «crimes contre l’humanité », «génocide », etc. l’ont sinistrement enrichi. La définition de ces crimes au cours du 20ème siècle est allée de pair avec les actions engagées dans le but d’en punir les auteurs.

1. Au niveau du Rwanda
Même si avant la tragédie de 1994, le crime de génocide et sa répression n’étaient pas prévus par le Droit rwandais, cependant le pays avait ratifié les principaux textes internationaux qui traitaient, indirectement ou directement, de ce crime. Nous pouvons citer, entre autres, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide .
Après le crime, le Rwanda(les nouveau pouvoir installé après la tragédie) a élaboré en 1996 une loi ad hoc intitulée : Loi organique du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises à partir du 1er octobre 1990. Cette loi a permis de juger quelques uns des criminels, mais en suivant cette forme de justice classique, la tâche s’est avérée impossible à cause du très grand nombre des présumés coupables. Pour essayer de trouver une solution au problème épineux de juger des milliers de gens présumés coupables du crime de génocide et des massacres, la société rwandaise a dû recourir à un système judiciaire spécial, basé sur une participation populaire active, qui était déjà en vigueur dans la société traditionnelle rwandaise, avant la colonisation. Cette forme originale de justice se base sur des tribunaux populaires appelés « GACACA ».
Ces juridictions ont été créées par la Loi organique N° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des « juridictions GACACA » et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994.
Globalement, ce système judiciaire rwandais vise à éradiquer l’impunité, mais, en même temps, à opérer la réconciliation. Pour plus de précision, voyons plutôt comment cette justice est présentée :
« L'impunité dont ont bénéficié les auteurs des drames sociaux qui ont caractérisé l'histoire de notre pays a abouti, au fil des ans, à une banalisation par le pouvoir des infractions à connotation “ ethnique ”, dont le point culminant a été le génocide et les massacres sans précédent de 1994. Vu que ces actes ont été cautionnés par les tenants du pouvoir, ils ont été commis par un nombre élevé de la population en atteignant aussi un nombre important de victimes.
Le souci majeur de ceux qui ont le devoir de recoller les tissus d'une société complètement décomposée est d'éradiquer cette culture de l'impunité, ce qui constitue en quelque sorte un préalable à la cohésion sociale et au développement futur du pays.
La voie de la justice constitue dès lors un passage obligé vers cette société où règne l'harmonie sociale. Cependant la justice classique, inspirée des systèmes modernes, n'aurait pu régler ce problème épineux dans des délais acceptables.
Les douze chambres spécialisées ont pu statuer sur un peu plus de 6.000 cas, de décembre 1996 à 2001. Il aurait alors fallut plusieurs années pour juger les plus ou moins 115.000 détenus jusqu'à ce jour sans compter ceux qui sont susceptibles d'avoir participé au génocide qui sont encore en liberté.
Il s'imposait donc de recourir à une justice unique en son genre, inspirée du système traditionnel rwandais de règlements de différends qui rechercherait, non seulement la répression du coupable, mais aussi et surtout l'entente, la cohésion et l'harmonie sociale. Ce système appelle la participation de tout un chacun à l'œuvre de la justice, ce qui cadre bien avec la manière dont les crimes ont été commis au grand jour » .
Suivant cette justice traditionnelle « GACACA » et selon le lieu d’habitation, les gens se réunissent pour statuer sur les crimes qui ont eu lieu dans leurs propres milieux. Déjà les résultats définitifs qui sont tombés jusqu’aujourd’hui sont en général satisfaisants et encourageants, même si la tâche de justice, de réparation et de réconciliation reste encore immense et ardue . Néanmoins ces résultats palpables, s’ils sont bien gérés, peuvent être, d’ores et déjà, prometteurs d’un avenir apaisé pour la société rwandaise.
2. Au niveau international
A l’échelle internationale, comme après le génocide des Juifs, la Communauté Internationale représentée par l’Organisation des Nations Unies (ONU), à travers son Conseil de Sécurité, a créé le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) pour juger les personnes responsables d’actes de génocide et d’autres violations graves du droit humanitaire commis sur le territoire du Rwanda ou par des citoyens rwandais sur le territoire d’Etats voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Le siège du TPIR est à Arusha en Tanzanie.
Sur le même plan, il faut aussi signaler que, suivant le principe de ‘‘compétence universelle des tribunaux nationaux’’, les justices nationales de certains pays peuvent juger des crimes qui relèvent de la compétence du TPIR, celui-ci gardant un droit de préemption sur toutes ces affaires, même après un jugement national. C’est ainsi que, pour le moment et à notre connaissance, quatre Rwandais ont été jugées, pour participation au génocide, et définitivement condamnés en Belgique et un autre en Suisse. Dans certains autres pays, il y a des procédures en cours dans ce sens.
Cependant des Rwandais dans l’ensemble et des observateurs objectifs affirment que, avec des possibilités étendues et diverses dont dispose la Communauté Internationale, jusqu’à présent elle n’a fait, pourtant, que le simple minimum de ce qui était possible de faire pour rendre justice.

CONCLUSION GENERALE

Le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda en 1994 a été le paroxysme de tous les crimes, à base discriminatoire , dont ils ont été victimes pendant un certain temps. En voulant ôter systématiquement la vie à toutes les personnes étiquetées comme Tutsi, les génocidaires se rendaient, ainsi, coupables de la violation maximale de tous les droits qui puissent exister. En effet, le droit à la vie constitue le fondement de tous les autres.
Certes, les premiers et les principaux responsables du génocide ce sont les Rwandais, surtout les responsables et autres leaders d’opinion, qui ont voulu éliminer de la surface de la terre leurs compatriotes, mais aussi la Communauté Internationale qui a abandonné des personnes, visées par le génocide, dans les mains des tueurs, alors qu’elle était suffisamment informée du danger. Le moins que l’on puisse faire maintenant, c’est de juger des responsables du génocide et d’aider le pays à affronter les diverses, multiples et atroces conséquences du génocide.
Honorer les victimes du génocide implique aussi que nous continuions à enquêter, à nous documenter et à analyser la façon dont le génocide a été préparé et mis en exécution, afin de mieux pouvoir éviter que de semblables horreurs ne se répètent à l’avenir . Le monde doit être objectivement informé de ce qui s’est passé au Rwanda en 1994, afin d’être capable de se consacrer à la défense des droits de l’homme en sachant bien ce que leur violation implique et occasionne comme horreur.

Sébastien GASANA
Doctorant en Sciences Sociales
Spécialisation en Sociologie.

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