Rwanda: perpétuité pour Théoneste Bagosora, cavalier de l’Apocalypse.

Par Vincent Hugeux

18/12/08

 

 

colonel_thoneste_bagosora.jpgLe colonel Théoneste Bagosora, présenté comme le "cerveau" du génocide rwandais de 1994, a été condamné jeudi à la prison à vie par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Une condamnation tardive, certes, mais qui éloigne le spectre de l'impunité.

Quatorze ans. Il aura fallu plus de 14 ans pour que la justice passe. Même à l'usure, même trop peu, même trop tard. Ce jeudi, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a condamné à la prison à vie le colonel Théoneste Bagosora, 67 ans, considéré comme le "cerveau" de l'holocauste de 1994, pour "génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre".

Jamais ce brillant officier, directeur de cabinet du ministre de la Défense au moment du carnage, n'a d'ailleurs admis la dimension génocidaire des massacres fatals à plus de 800 000 Rwandais, d'ethnie tutsi pour la plupart. De même, l'ancien séminariste de Nyundo, dans sa province natale de Gisenyi (nord-ouest), a toujours nié avoir annoncé en 1993 son retour au pays pour y "préparer l'Apocalypse".

Ironie du sort, il aurait prononcé cette terrible formule à Arusha (Tanzanie), théâtre de vaines négociations entre le pouvoir rwandais et le Front patriotique rwandais (FPR), rébellion que dirigeait Paul Kagamé, maître absolu du pays des Mille collines depuis la débâcle des boutefeux du hutu power. Or, c'est dans la même ville d'Arusha que siège le TPIR. A l'époque, un vif conflit avait opposé Bagosora au ministre des Affaires étrangères Boniface Ngurinzira, qu'il jugeait trop enclin aux concessions envers les insurgés. "Faiblesse" que le patron de la diplomatie rwandaise paya de sa vie le 11 avril 1994.   

Ce verdict attendu, infligé aussi à Aloys Ntabakuze et Anatole Nsengiyumva, frappe d'un indélébile sceau d'infamie l'étrange destinée d'un méritocrate réputé pieux et ambitieux. En 1962, à 21 ans, le jeune Théoneste quitte le petit séminaire pour rallier l'Ecole des officiers de Kigali. Deux ans plus tard, le sous-lieutenant Bagosora signe son premier fait d'armes: dans la région du Bugesera (est), endeuillée par maints pogroms, il enraye à la tête de sa compagnie une incursion d'exilés tutsis venus du Burundi.

Le guerrier prometteur tisse très vite de solides relations avec Juvénal Habyarimana, le futur président, dont l'assassinat fournira, en 1994, l'étincelle nécessaire au déclenchement du génocide. Les deux hommes sont originaires du même terroir. La fille aîné de Bagosora aura pour marraine Agathe Kanziga, épouse de Juvénal et future prêtresse de l' "akazu" -la maisonnée-, surnom donné au cercle de faucons actifs à la présidence. En juillet 1973, quand Habyarimana évince au prix d'un coup d'Etat militaire le président Grégoire Kayibanda, l'unité commandée par Théoneste joue un rôle crucial.

Après un passage à l'Ecole supérieure inter-armées de Paris, l'officier entreprend une carrière sans accroc, entre le ministère de la Défense et la haute-hiérarchie des FAR, les Forces armées rwandaises. Mais bientôt, le vent tourne et l'orage menace.

En juillet 1994, à l'heure de la déroute,  Bagosora fuit l'inexorable avancée du FPR. Il trouve refuge au Cameroun, où il sera arrêté en mars 1996, neuf mois avant son transfert à Arusha.

Dans ses attendus, le TPIR a notamment conclu à la responsabilité du condamné dans l'assassinat atroce d'Agathe Uwilingiyimana, alors premier ministre, des dix Casques bleus belges chargés de sa protection rapprochée, et de divers leaders politiques d'opposition. La chambre lui impute également plusieurs massacres de tutsis, commis à des barrages routiers, tant à Kigali que dans sa région de Gisenyi.

A l'évidence, cette sentence ne solde rien. Elle ne suffira pas davantage à redorer le blason d'une juridiction lourde et lente, souvent tétanisée par les artifices de procédures. Mais au moins éloigne-t-elle le spectre de l'impunité.

 

L'Express.fr

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