Lettre ouverte à Colette Braeckman, membre du club “Les amis de l’Afrique”

Dr Agnès Binagwaho

20/07/07

 

Le 1er juillet, dans le Soir (le journal belge), j’ai lu avec intérêt mais sans surprise, car il est de la même veine que ceux que vous publiez d’habitude, votre article intitulé Rwanda : « Le Pays des Mille Collines et des Mille Règlements » !

Dans votre article vous touchez à des sujets divers et variés mais je suis certaine que vous ne le faites pas avec les mêmes yeux et la même plume que lorsque vous abordez ces sujets dans des pays comme le vôtre. En effet, je jurerais que chez vous, vous défendez le reboisement, la lutte contre l’érosion et la déforestation.

Mais pour le Rwanda au contraire, vous suggérez qu’il ne faudrait pas interdire de continuer à faucher les arbres pour avoir du combustible pour cuisiner alors que si nous continuons à perdre des arbres à ce rythme, dans quelques décennies notre pays sera transformé en Sahel. Ce serait un désastre écologique, mais vous trouvez peut-être qu’il est prétentieux pour un pays du Sud d’avoir une vision au delà des années 2020 ?

Vous semblez négative au port du casque pour nos motards, est-ce la même chose quand il s’agit des motards bruxellois ? Ou alors, seuls les gens du Nord auraient droit à la sécurité routière ? Ironisez-vous sur le port de la ceinture de sécurité dans les pays du Nord ? Votre article ne peut s’expliquer que si les pertes économiques provoquées entre autre par les accidents de la route, l’appauvrissement des paysans à cause de la mort du grand et petit bétail par l’ingestion des déchets des sacs plastiques est une normalité à ne surtout pas changer au Rwanda ?

Il semble aussi que le fait d’embellir nos villes avec des fleurs vous paraisse hors propos, vous qui prenez sur votre temps de « Grande journaliste » pour signaler ce tout petit fait, dans un pays, une sous région et une région où il y a tant à dire d’un point de vue journalistique !

Est-ce parce que pour vous, des villes propres, sans amoncellement de sacs plastiques inaltérables, fleuries et enjolivées par un urbanisme qui aligne les murs et interdit de construire sans un plan, tout ça soit trop beau pour nous dans le Sud. Avez-vous jamais écrit contre cela dans votre pays ?

A Bruxelles, il est même interdit de percer une fenêtre dans un mur de façade sans autorisation et on installe de coûteux systèmes de collecte et recyclage des déchets en plastique ? Ou alors pour vous, la beauté des villes n’est pas pour nous les Africains ?

Une question que j’aimerais vous poser : avez-vous jamais écrit sur les coupures d’eau et d’électricité dans les villes rwandaises sous le régime génocidaire ? Ou alors vous êtes soudain et brutalement concernée par l’accès à l’eau et à l’électricité pour les Rwandais ? Et aussi à votre avis, ces coupures sont-elles plus fréquentes maintenant qu’avant ? Vraiment Collette, y a-t-il moins de Rwandais qui ont accès à l’eau et à l’électricité aujourd’hui plus qu’avant ou c’est le contraire ? Quel message voulez-vous réellement donner ?

Vous signalez dans votre article, la grande conférence sur le SIDA qui s’est tenue à Kigali, avec 1500 visiteurs étrangers. Y étiez-vous ? Je ne le pense pas sinon il faudrait vraiment se questionner sur la profondeur de votre sérieux et de votre professionnalisme. En effet, vous auriez su qu’il y avait plus de quarante pays présents et malgré vos sarcasmes vous n’auriez pas omis de signaler les vraies causes de la réussite de cette rencontre internationale, la première du genre au Rwanda.

Le succès et l’engouement des participants ne sont pas seulement dus à la sécurité dans laquelle ils ont vécus durant quelques jours, à la qualité de notre accueil, à ce qui vous appelez notre dégaine de Barack Obama (un compliment car il est bel homme), mais à tout cela couplé entre autre à la qualité du travail de préparation et au contenu des présentations scientifiques.

Vous dites aussi sur ces étrangers venus pour cette conférence qu’ils n’ont pas vu le vrai Rwanda en profondeur, mais il m’apparaît surtout que ce soit vous qui désirez glisser en surface. Si vous alliez dans la profondeur, vous sauriez que nos policiers sont polis et disciplinés en ville comme à la campagne, que la propreté est urbaine aussi bien que rurale, mais je comprend que vous suggérez le contraire au cas où un Rwanda propre, poli et discipliné dérange.

Vous nous comparez à Singapour, pour moi c’est un compliment mais là encore vous passez le message négativement, peut-être aimeriez-vous mieux nous voir affamés, pauvres et sales. Il est vrai que cela rassure certains esprits que vous connaissez bien et que vous qualifiez parfois si durement.

Je parle de cette catégorie de personnes qui nous aime à jamais misérables, qui pensent qu’un pays ambitieux est suspect dans le Sud, alors que chez vous c’est un compliment ?

Peut-être vivez-vous le déchirement des ambiguïtés des enfants des anciennes puissances coloniales quand tantôt comme vous, sont contre l’entassement des prisonniers dans les prisons, mais jettent sur papier des critiques à peine voilées quand on les libère ? Quand ils écrivent contre la gacaca qui permet au pays de se reconstruire en donnant la justice aux victimes, ils sont contre mais ne proposent rien comme solution.

Sachez Collette qu’à ce jour, au Rwanda, si vous ou une autre personnes avez des suggestions pour un meilleur avenir pour le Rwanda, vous êtes les bienvenus.

Personne n’a de solution idéale pour trouver le temps et les moyens d’appliquer au Rwanda une justice qui ressemble à celle de votre vie quotidienne, et, de toute façon, la justice des pays développés a ses limites aussi quand elle absout un policier qui tue de son arme de service un jeune dans sa cellule avec une balle dans la tête en voulant juste lui faire peur.

Quand vous décrivez la peur de certains Rwandais de voir un dossier gacaca s’ouvrir pour eux sous prétexte qu’ils relèvent la tête, cela me rappelle la réaction vive des supports des anciens Nazis actuellement en politique dans votre continent, lorsque les victimes ou leurs descendants demandent leur démission.

C’est comme quand vous écrivez sur nos enfants de la rue que l’on essaye d’emmener loin de la rue ! Puis-je vous rappeler ce qu’on fait des mineurs vagabonds dans votre pays ? Ils n’ont pas le droit de vivre ou bon leur semble et les récidivistes sont mis en maison de correction !

Vous venez souvent chez nous, vous n’avez donc aucune excuse de n’avoir pas vu plus loin que la surface. Notamment qu’aujourd’hui les fonctionnaires rwandais ont une assurance de santé : cela n’existait pas avant ; qu’un million de Rwandais vulnérables en milieu rural ont une mutuelle de santé couvrant les cinq premières causes de mortalité : c’est nouveau aussi et ça change la vie des familles ; que le SIDA et la malaria régressent ; que l’accès à l’eau et l’électricité s’améliore doucement ; que le nombre de scolarisés est multiplié par plus de dix par rapport à avant 1994.

J’ai déjà perdu assez de temps avec les nombreux « amis de l’Afrique » qui ne sont des amis que d’une Afrique pauvre, malade et mendiante et qui perdent leur repères lorsqu’un pays comme le Rwanda prend résolument le chemin du développement. Et je me demande si vous n’êtes pas résolument de ceux-là ? Je pourrais continuer à commenter vote article point par point mais je préfère arrêter ici.

 

Dr Agnès Binagwaho

Secrétaire Exécutif

Commission Nationale de Lutte contre le SIDA

Rwanda

Rwanda News Agency

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